Des carrés toujours rouges

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir La crise de 2012 a laissé un héritage durable, croit Gabriel Nadeau-Dubois, l’ancien porte-parole de la CLASSE (Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante).

Le combat se poursuit. Mais sans pancartes, sans sifflets et sans des milliers de manifestants dans la rue. La crise du printemps 2012 a rééquilibré le rapport de forces au profit des étudiants. Le gouvernement n’a plus le choix d’écouter.

On ne les voit plus beaucoup sur la place publique, les étudiants. La raison est simple : ils n’ont plus besoin de faire la grève. Ça ne veut pas dire qu’ils se sont écrasés, qu’ils sont devenus dociles et qu’ils ne demandent plus rien.

Au contraire. Ils ont vécu des heures difficiles dans la foulée de ce printemps fou — la Fédération étudiante universitaire du Québec a implosé —, mais ils affirment que la crise leur a donné une impulsion.

« Bien sûr qu’on a des revendications. La différence d’avec 2012, c’est que la ministre [Hélène David] est plus à l’écoute que beaucoup de ses prédécesseurs. Elle connaît les dossiers. On a eu une oreille attentive », dit Nicolas Lavallée, président de l’Union étudiante du Québec, qui rassemble 72 000 personnes.

« On sent que le gouvernement n’a pas le goût de rejouer le scénario de 2012. Il n’y a plus eu de menace directe contre l’aide financière aux études ou contre les droits de scolarité, par exemple », ajoute-t-il.

80 millions
La ministre de l’Enseignement supérieur, Hélène David, a annoncé avant Noël un investissement de 80 millions de dollars pour l’aide financière aux études.

Quand on parle à des étudiants, le ton a de quoi surprendre : on entend les mots « respect », « partenaires », « discussions ». Il paraît loin, le printemps de 2012, quand Jean Charest et les chefs étudiants s’accusaient mutuellement de vouloir mettre le Québec à feu et à sang.

Ce temps-là est passé. La ministre de l’Enseignement supérieur, Hélène David, affirme que sa priorité était de « rétablir les ponts avec les étudiants » lorsqu’elle est entrée en poste.

« Je respecte les étudiants. J’insiste énormément sur le dialogue. Ce sont mes partenaires les plus près, à qui je parle le plus souvent », dit-elle au Devoir. Ancienne vice-rectrice à l’Université de Montréal, Hélène David n’a que de bons mots pour eux : elle les trouve « très bien organisés », ils préparent des mémoires « très bien étoffés ».

Des résultats

 

Bref, cinq ans plus tard, la hache de guerre a bel et bien été enterrée. Le changement de ton porte ses fruits : la ministre David a annoncé avant Noël un investissement de 80 millions de dollars pour l’aide financière aux études. Elle a aussi accepté de rémunérer les stages des internes en psychologie. Les étudiants en éducation comptent négocier à leur tour pour que leurs stages soient rémunérés.

Le milieu de l’enseignement supérieur milite aussi pour un réinvestissement majeur dans le prochain budget, attendu au mois de mars : « On a un ministre des Finances [Carlos Leitão] qui est sensible aux collèges et aux universités », dit Hélène David.

La grève a permis aux gens de voir que la mobilisation sert à quelque chose. C’est encore vrai cinq ans plus tard.

 

Les étudiants prennent des notes. « Le dialogue est plus présent. On n’a plus besoin de faire la grève, mais on est quand même mobilisés : le printemps de 2012 nous a appris qu’on peut réagir sans problème en cas de besoin », dit Guillaume Lecorps, vice-président de l’Association étudiante de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM. Il fréquentait le collège Ahuntsic en 2012.

Cinq ans plus tard, la frénésie de ce printemps fou lui sert encore d’inspiration. « Ce débat-là m’a donné le coup de pied au derrière pour m’impliquer. J’ai pris conscience qu’on peut avoir de la force collectivement. »

Les anciens leaders étudiants sont convaincus que leur combat du printemps 2012 se poursuit de plus belle, non seulement dans le mouvement étudiant, mais dans toute la société. L’esprit du printemps érable reste bel et bien vivant, estiment Martine Desjardins et Gabriel Nadeau-Dubois, deux des têtes d’affiche de la plus grande grève étudiante de l’histoire du Québec.

Ils affirment tous deux que les étudiants ont gagné la bataille du printemps 2012. Le premier geste du gouvernement péquiste de Pauline Marois, qui a défait les libéraux de Jean Charest, a été d’annuler la loi 78 et la hausse de 75 % des droits de scolarité. « C’est une victoire sur toute la ligne, c’est pour ça qu’on s’était battus durant des mois, dit Martine Desjardins. Mais quand l’annonce a été faite, en septembre 2012, l’adrénaline de la grève était tombée, on était un peu sonnés. J’ai dit à mes collègues : on a gagné, il faut faire un party ! Mais personne ne réagissait. »

Cinq ans plus tard, les libéraux sont encore au pouvoir. Ils ont mis en place la « rigueur budgétaire » décriée par les groupes progressistes. Les manifestations du printemps 2015 ont fini en queue de poisson et dans un nuage de gaz lacrymogène. Les carrés rouges ont-ils fané ?

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Martine Desjardins, une des têtes d’affiche de la plus grande grève étudiante de l’histoire du Québec, estime que l’esprit du Printemps érable reste bel et bien vivant. 

« Ça me fâche quand j’entends dire qu’il ne reste plus rien du Printemps érable, dit Martine Desjardins, ancienne présidente de la défunte Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ). Les étudiants de 2012 ont aujourd’hui 27 ou 28 ans, ils sont diplômés, je les croise partout : ils sont sur le marché du travail, dans les syndicats, dans les groupes communautaires, dans le secteur culturel. Ils font une différence à leur façon même s’ils ne sont plus dans le mouvement étudiant. »

Gabriel Nadeau-Dubois est d’accord. Lui et Martine Desjardins se parlaient à peine durant le conflit de 2012 — les associations étudiantes ont toujours eu de profondes rivalités —, mais ils ont certains points de convergence cinq ans plus tard. La crise de 2012 a laissé un héritage durable, croit l’ancien porte-parole de la CLASSE (Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante).

« Je veux bien admettre que 2012 n’a pas changé le monde, dit-il. Ce n’était pas ça le but non plus, c’était plutôt de bloquer la hausse des droits de scolarité. Beaucoup de gens, à l’intérieur et à l’extérieur du mouvement, ont peut-être eu des attentes un peu trop grandes : on ne peut pas s’attendre à ce qu’une grève étudiante à elle seule renverse 15 ans de néolibéralisme au Québec ! C’est l’accumulation des luttes, une succession de mobilisations, qui transforme une société sur le long terme. Est-ce que c’était notre responsabilité à nous de révolutionner la carte politique du Québec ? »

Les changements sociaux se font à petits pas, disent Nadeau-Dubois et Desjardins. Ils estiment que les écoles, les collèges et les universités ont besoin d’investissements massifs. Il faut freiner la marchandisation de la recherche universitaire, améliorer la reddition de compte des directions d’établissement, enchâsser dans une loi le droit de grève des étudiants.

Gare aux sauveurs

 

Gabriel Nadeau-Dubois rappelle que la grève de 2012 répondait à un « changement de culture » annoncé par le ministre des Finances de l’époque, Raymond Bachand. Il appelait à une modulation des tarifs de services gouvernementaux, y compris les droits de scolarité. Les étudiants, appuyés par les casseroles citoyennes, manifestaient pour protéger le « modèle québécois » de redistribution de la richesse, estime Nadeau-Dubois.

Il a parcouru le Québec durant six mois pour sa tournée Faut qu’on se parle, avec l’ex-chef d’Option nationale, Jean-Martin Aussant, et d’autres citoyens engagés. Il affirme avoir été surpris par le désenchantement des Québécois dans toutes les régions.

On ose espérer que le message de 2012 reste compris de façon définitive : les étudiants méritent le respect

 

« Il y a un sentiment de blocage politique. Les choses au Québec ne bougent pas, il y a toujours les mêmes débats, on entend toujours les mêmes personnes. Quand les gens perdent confiance en leurs institutions, on voit ce que ça donne aux États-Unis. Ça permet à des gens d’émerger et de dire : “Vous n’avez plus confiance en votre capacité collective de changer les choses, moi, je suis un surhomme, moi, je vais le faire.” Il ne faut pas se rendre là. On n’est pas à l’abri. »

Le rapport de la tournée Faut qu’on se parle sera dévoilé la semaine prochaine. Gabriel Nadeau-Dubois est pressenti pour succéder à Françoise David, de Québec solidaire, qui a pris sa retraite le mois dernier. Il laisse durer le suspense.

Quant à Martine Desjardins, elle dit ignorer pour le moment si elle se présentera à nouveau pour le Parti québécois après sa défaite lors de l’élection d’avril 2014. D’une façon ou d’une autre, on entendra encore parler de ces deux surdoués de la politique.

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