L'accès à l'eau potable, futur enjeu majeur

L’acteur américain Matt Damon a profité de son passage au Festival du film de Sundance ce week-end pour déclarer qu’il espérait rencontrer le nouveau président Trump pour lui parler de l’accès à l’eau potable, une cause qu’il défend depuis plusieurs années. Son organisme charitable Water.org intervient dans les pays pauvres du monde. Il pourrait franchement ouvrir un chantier dans son propre pays en voie de tiers-mondisation de ce point de vue crucial.
Au rythme où la situation se détériore, plus du tiers (36 %) des ménages américains pourrait ne pas être disposé à payer l’abonnement à l’eau potable d’ici cinq ans. Cette crise nationale est documentée dans une étude parue il y a deux semaines dans la revue scientifique PLOS ONE.
« La crise de l’eau va toucher profondément les États-Unis », explique au Devoir Elisabeth A. Mack, coauteure de l’enquête intitulée A Burgeoning Crisis ? La professeure Mack est rattachée au Département de géographie de la Michigan State University. « Les problèmes ont été documentés un peu partout, à la pièce. Il s’agit maintenant d’un problème national. Personnellement, je n’ai jamais rien vu de semblable. »
Pour l’instant, un peu plus d’un ménage sur dix (11,9 %) a de la difficulté à payer les factures d’eau, ce qui représente près de 13,8 millions de foyers.
Les signes du marasme se multiplient. À Atlanta et Seattle, la facture moyenne pour une famille de quatre personnes a maintenant dépassé le seuil des 300 $ mensuels. On répète : l’accès à l’eau coûte 300 $ par mois dans ces deux villes.
« Ce n’est pas une étude qui se voulait militante, dit la professeure. Mon rôle a consisté à regarder quel serait l’impact de la hausse des coûts de l’eau sur les ménages et sur la vitalité des régions urbaines touchées. Je suis donc partie d’une question toute simple en me demandant si les gens avaient les moyens de se payer leur eau. Quand j’ai commencé à la poser, on riait autour de moi et on me disait que, bien sûr, les gens en avaient les moyens. Je connaissais la situation à Detroit et je n’en étais pas si certaine. »
Défaut de paiement
Cette ville voit sa population rétrécir avec comme conséquence que de moins en moins de contribuables payent pour le service à coût total fixe. Depuis le début de 2014, la Ville a coupé le service d’eau à quelque 50 000 clients délinquants. La situation est encore pire à Philadelphie, où 227 000 abonnés, soit deux comptes sur cinq, se retrouvent en défaut de paiement.
L’étude distingue les coûts pour les services de réception et de traitement des eaux. L’agence de protection de l’environnement du pays recommande que ces services combinés ne coûtent pas plus de 4,5 % des revenus d’un ménage. C’est ce critère qui permet d’établir le nombre actuel et projeté de ménages en difficulté.
La géographe a pris soin de cartographier le problème national. Les villes les plus à risque actuellement et dans le futur proche se retrouvent surtout au sud, dans les zones les plus pauvres du pays continent. La région du Mississippi serait la plus à risque. Les États près du Québec comme le Vermont et le New Hampshire semblent par contre épargnés par la crise.
Mille milliards
La facture va exploser pour trois raisons selon l’enquête. Les changements climatiques et le vieillissement de la population vont faire gonfler les coûts. La première et la plus capitale cause concerne l’âge des réseaux. Les estimations fixent le montant nécessaire pour les remplacer à mille milliards de dollars américains.
Par comparaison, les villes du Québec auraient besoin d’environ 1,7 milliard pour refaire leurs égouts et aqueducs. Québec a été submergé de demandes pour obtenir de l’aide du nouveau Fonds pour l’eau potable, doté depuis l’an dernier d’une enveloppe d’environ 664 millions.
Le nouveau président américain hérite de ce dossier brûlant. Donald Trump a promis de lancer un programme d’investissements dans les infrastructures et en même temps des baisses d’impôt.
« C’est un problème politique,résume la professeure Mack. Il faut décider qui va payer pour nos infrastructures et comment il faut restructurer le système pour tenir compte des revenus des citoyens. Le système actuel touche les ménages les plus pauvres de manière disproportionnée. Comme l’accès à l’eau est un droit de la personne fondamental, il faut aussi mettre en place des protections pour empêcher les coupures de service de ceux qui ne peuvent plus les payer. »
Le système actuel favorise en plus le gaspillage : plus un client consomme d’eau, moins elle lui revient cher au gallon. « Le chantier sera énorme, conclut la spécialiste. Il faut en plus imaginer et utiliser des technologies vertes pour économiser l’eau dans l’avenir. »