Abolir les réserves n’est pas la solution

Entre les mois de mai 1994 et novembre 2015, 40 des 44 personnes qui se sont suicidées à Uashat Mak Mani-Utenam avaient une dépendance à l’alcool ou aux drogues.
Photo: Mixwell21 / Wikimedia Entre les mois de mai 1994 et novembre 2015, 40 des 44 personnes qui se sont suicidées à Uashat Mak Mani-Utenam avaient une dépendance à l’alcool ou aux drogues.

Penser abolir les réserves autochtones pourles guérir de leurs maux est une utopie, a déclaré dimanche Virginie Michel, vice-chef d’Uashat Mak Mani-Utenam, une communauté innue de la Côte-Nord qui a fait l’objet d’une enquête du coroner Bernard Lefrançois en raison d’une vague de suicides survenue en 2015.

Virginie Michel commentait ainsi les conclusions de l’officier public, qui a dénoncé dans son enquête le manque de services — mais aussi le régime d’« apartheid » que crée la Loi sur les Indiens, « archaïque et désuète » — pour expliquer les suicides de cinq autochtones de la communauté voisine de Sept-Îles entre le 10 février 2015 et le 31 octobre 2015.

Dans cette période de huit mois, un homme et quatre femmes âgés de 18 à 46 ans se sont tour à tour suicidés par pendaison. Avant de passer à l’acte, ils ont tous formulé des appels à l’aide. En vain.

À la base de leurs situations précaires : « le régime d’“apartheid” dans lequel les autochtones sont plongés », a conclu le coroner Bernard Lefrançois. « La Loi sur les Indiens, qui est une loi archaïque et désuète, établit deux sortes de citoyens, les autochtones et les non-autochtones. L’autochtone est pupille de l’État, une personne considérée [comme] incapable et inapte », a écrit le coroner.

Selon Bernard Lefrançois, il « serait temps de mettre fin à ce régime d’apartheid et que toutes les autorités concernées se mettent à la tâche à cet égard ». L’émancipation par l’abolition de la Loi sur les Indiens ? Pas si vite, a répondu Virginie Michel. « Abolir les réserves, c’est rêver, a-t-elle déclaré, dans un entretien avec Le Devoir. Le sentiment d’appartenance est créé. Ils ne pourront pas le faire. C’est utopique. Il va falloir trouver des solutions pour les réserves déjà établies. »

À son avis, les réserves, malgré leurs nombreux défauts, ont l’avantage de créer des « facteurs de protection » que les autorités doivent s’affairer à maximiser. « On se connaît tous, on vit ensemble, on a de la compassion. Quand il se passe des affaires majeures, on s’entraide », a-t-elle expliqué.

Manque de coordination

 

Consommation d’alcool et de drogue, exposition à des violences : l’enquête expose les trajectoires des disparus, qui se sont inscrites dans une tendance. Entre les mois de mai 1994 et novembre 2015, 40 des 44 personnes qui se sont suicidées à Uashat Mak Mani-Utenam avaient une dépendance à l’alcool ou aux drogues.

Pourtant, le manque de ressources et une mauvaise coordination des services sur la communauté et en dehors de celle-ci ont fait en sorte qu’ils ont, eux aussi, passé « au travers des maillons du filet de sécurité confectionné pour elles », a déploré le coroner. Il estime que les morts de ces cinq personnes étaient évitables. « Les personnes qui font une demande d’aide obtiennent généralement un service, mais celles qui n’en demandent pas ont un minimum d’attention », a-t-il souligné.

Par et pour les autochtones

 

Virginie Michel a appuyé la recommandation du coroner quant à la création d’une ligne téléphonique. « Une ligne d’urgence 24 heures sur 24, avec des répondants autochtones, parce qu’ils [les autochtones en détresse] n’appellent pas au Centre de prévention du suicide de la Côte-Nord », a-t-elle précisé. De toute façon,
« il n’y a pas de répondants qui parlent l’innu ou le naskapi », a aussi remarqué le coroner.

Bernard Lefrançois a également proposé la mise sur pied d’une escouade régionale mixte pour lutter contre le commerce de stupéfiants dans cette région, comme le réclame déjà le Service de police de Uashat. « Sur le plancher, sur l’application, je veux voir des Innus », a cependant exigé Virginie Michel.

Photo: Jacques Boissinot La Presse canadienne La ministre Lucie Charlebois a promis la mise sur pied d’une table de travail commune à laquelle siégeraient les chefs autochtones concernés et le gouvernement fédéral.

À Québec, la ministre déléguée à la Santé publique, Lucie Charlebois, a promis la mise sur pied d’une table de travail commune à laquelle siégeraient les chefs autochtones concernés et le gouvernement fédéral. « Oui, il y a des choses qui se font, mais manifestement, il faut en faire plus », a-t-elle concédé dimanche. À Ottawa, la ministre des Affaires autochtones, Carolyn Bennett, a déclaré que ses collègues et elle « prendron[t] rapidement connaissance du rapport du coroner et de ses recommandations et travailleron[t] avec les partenaires impliqués afin de fournir du soutien à la communauté en fonction de ses besoins ».

 

Quelques-unes des recommandations du coroner Lefrançois

Créer une ressource spécialisée en matière de crise suicidaire qui serait ouverte en tout temps ;

Négocier une nouvelle entente pour de meilleurs échanges d’informations entre les ressources d’aide et de soins de santé ;

Créer une escouade régionale mixte incluant le Service de police autochtone d’Uashat Mak Mani-Utenam pour lutter contre le commerce de stupéfiants sur la Côte-Nord ;

Remettre en place des programmes de thérapie axés sur des séjours prolongés en forêt ainsi que des programmes de thérapie familiale ;

Assurer la présence d’un service de police naskapi en tout temps à Kawawachikamach.


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