Police, justice et autochtones, la réconciliation reste à faire

Les partisans d’une commission d’enquête provinciale sur les femmes autochtones viennent d’obtenir des munitions de taille : l’investigation de la police de Montréal sur les allégations d’agressions sexuelles commises par des agents de la Sûreté du Québec à Val-d’Or a bel et bien été menée de « façon intègre et impartiale », mais elle ne suffit pas, tranche l’experte indépendante mandatée par le gouvernement Couillard.
Alors qu’on apprenait mardi que le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) ne déposerait probablement pas d’accusations contre les policiers visés par ces allégations, Québec a rendu public, mercredi, le rapport qu’il avait commandé à l’avocate Fannie Lafontaine. Celle-ci devait s’assurer que le travail du SPVM avait été mené selon les règles de l’art, même si les suspects étaient des confrères policiers. Or, l’enquête criminelle du SPVM, bien que nécessaire, « est insuffisante », soutient l’observatrice civile indépendante.
« La justice dans ce contexte […] doit être rendue tant au plan individuel qu’au plan collectif, via des mesures complémentaires au processus criminel », conclut l’avocate dans un imposant rapport.
« Ces témoignages qui brisent le silence ne sont pas vains, même lorsqu’ils ne mènent pas à la responsabilisation pénale individuelle d’un policier pour des raisons propres au système pénal. […] Toutefois, ils ne seront les premiers pas vers la guérison et la réconciliation que dans la mesure où chaque histoire est reconnue autrement qu’à travers le processus pénal. »
Rencontre urgente au sommet
Sans exiger elle-même la tenue d’une enquête indépendante provinciale, elle somme Québec de s’asseoir de toute urgence avec l’ensemble des représentants de la communauté autochtone et les corps policiers afin de déterminer les mesures à prendre. Le « dialogue de sourds » actuel, entre les groupes autochtones et l’État, ne mène à rien. Elle souligne que d’autres provinces ont, elles, déclenché une enquête indépendante au lieu de s’attendre à ce que le fédéral fasse ce travail à leur place. « La question de la suffisance de l’enquête fédérale pour faire la lumière sur les enjeux systémiques propres au Québec et de la nécessité d’adopter des mesures complémentaires se pose avec une acuité toute particulière en ce moment », insiste Me Lafontaine.
En entretien, la juriste de renom a fait part de son étonnement quant à la décision du DPCP de ne déposer aucune accusation contre les policiers visés par l’enquête. Même si son mandat ne couvrait que le travail du SPVM, pas celui du DPCP. « S’il n’y a pas d’accusations, le DPCP aura la responsabilité d’expliquer pourquoi il agit de la sorte. Ils fonctionnent selon leurs critères à eux. [Ça] ne découlera pas du travail des policiers. », a-t-elle indiqué au Devoir.
Enquête exigée
En Abitibi, les leaders algonquins se sont unis pour répéter le message qu’ils martèlent depuis la mise au jour de ces sévices présumés. « C’est ce qu’on demande depuis un an : d’avoir une enquête indépendante. […] Ça prend réellement une enquête ici, au Québec. Au niveau du fédéral, c’est beaucoup trop large », a dit le chef de Pikogan, David Kistabish, en faisant référence à l’Enquête fédérale sur les femmes autochtones disparues ou assassinées. « Il y a des aspects dans l’enquête [sur les policiers de la SQ] qui n’ont pas été traités, ajoute Adrienne Anichinapeo, qui dirige la communauté de Kitcisakik. On veut contrer le racisme, et ça n’a pas été abordé dans l’enquête. Ce serait le fun que le gouvernement prenne ses responsabilités. »
Réactions tièdes à Québec
La ministre de la Justice Stéphanie Vallée a rappelé que son gouvernement avait confié à l’enquête fédérale « des pouvoirs spécifiques » concernant le Québec. « Nous estimons que les pouvoirs que nous avons octroyés aux commissaires sont assez importants », a ajouté Mme Vallée, se refusant à tout autre commentaire jusqu’au dépôt du rapport du DPCP.
En août dernier, le ministre responsable des Affaires autochtones, Geoffrey Kelley, avait aussi assuré que les membres de la commission fédérale disposeraient du « pouvoir d’aller au fond des questions soulevées […] dans l’histoire de Val-d’Or, par exemple ». « Qu’est-ce qu’on peut faire pour mieux protéger les femmes autochtones de notre société ? Qu’est-ce qu’on peut faire pour prévenir ce genre de gestes ? Je pense que ça, c’est l’objectif ultime », avait-il déclaré. Mercredi, M. Kelley observait pourtant un mutisme complet.
Le maire de Val-d’Or, Pierre Corbeil, n’a pas voulu faire de commentaires mercredi soir. Il doit s’adresser aux médias vendredi à la suite de l’annonce du DPCP.
Les prémisses de l’affaire
Le 5 novembre 2015, deux semaines après la diffusion d’un reportage évoquant des sévices policiers à l’endroit de femmes autochtones, Québec a nommé la juriste Fannie Lafontaine à titre d’observatrice indépendante chargée d’examiner l’intégrité et l’impartialité des enquêtes du SPVM. C’est à ce service de police que la ministre de la Sécurité publique d’alors, Lise Thériault, avait donné le mandat d’enquêter sur huit agents du poste de la SQ à Val-d’Or. Me Lafontaine a eu droit d’obtenir du SPVM « tout document ou renseignement jugé comme utile », en plus de pouvoir échanger avec le responsable des enquêteurs affectés aux dossiers et de pouvoir visiter certains lieux accompagnés des enquêteurs. Dès sa nomination, Me Lafontaine a exprimé le désir de se rendre à Val-d’Or.
Fannie Lafontaine devait aussi produire un rapport dans les 30 jours suivant la transmission du dossier d’enquête du SPVM au Directeur des poursuites criminelles et pénales. Son mandat ne s’arrête pas là pour autant : elle conserve son rôle d’observatrice tant que le SPVM continue d’enquêter sur des plaintes formulées par des autochtones à propos de tout corps de police qui n’est pas le SPVM. Elle pourrait donc produire d’autres rapports.