Les clauses de disparité au coeur de deux conflits de travail

Ce texte fait partie du cahier spécial Syndicalisme
Après avoir réussi à interdire l’instauration de clauses de disparité dans les échelles salariales, en 2001, les syndicats veulent maintenant l’adoption d’une loi qui interdirait la création de régimes de retraite à deux vitesses dans les entreprises. En 2016, deux conflits aux issues différentes ont illustré la nécessité de mener une telle bataille.
Brault & Martineau
Hiver 2016. Des négociations se déroulent entre le syndicat Unifor-FTQ des employés du centre de distribution de Brault & Martineau, à Montréal-Est, et la direction. Tout va pour le mieux jusqu’au moment où la direction affirme vouloir modifier le régime de retraite pour le rendre moins avantageux pour les nouveaux employés. Le syndicat refuse d’endosser cette position, qu’il juge inéquitable pour la jeune génération. Il s’agit en fait d’une clause de disparité, ou clause dite « orphelin ».La direction oppose toutefois une fin de non-recevoir à toute négociation sur le sujet. Le syndicat présente donc cette proposition patronale à ses 219 membres. Elle est refusée à 97,5 %. La direction décrète alors un lockout, qui durera 42 jours.
La suite de l’histoire est triste pour les employés. Si les employés n’acceptent pas la clause de disparité, Brault & Martineau menace de fermer le centre de distribution et de transférer, en sous-traitance, toutes les activités de ce centre à GENCO FedEx, qui possède un gigantesque entrepôt à Coteau-du-Lac.
« La menace était sérieuse, car l’entreprise avait déjà commencé à délocaliser ses activités dans un entrepôt à Laval durant le lockout et avait un plan qui prévoyait la fermeture du centre à Montréal-Est et le transfert des activités à Coteau-du-Lac, dit Oliver Carrière, représentant national d’Unifor, le syndicat des employés d’entrepôt de Brault & Martineau. C’était purement idéologique, car rien ne justifiait de prendre une telle action. Le régime de retraite était en santé et bien capitalisé, à 108 %. »
Au début avril, les employés, voyant leur emploi sérieusement menacé, acceptent à 80 % la proposition de l’entreprise. Tout nouvel employé embauché depuis janvier 2016 a dorénavant un régime de retraite à cotisation déterminée plutôt qu’à prestations déterminées (le régime en place pour les anciens employés).
Cimenterie Lafarge
En 2016, les employés de la cimenterie Lafarge de Saint-Constant ont vécu une histoire semblable. Au début février, 100 % des 91 employés de l’entreprise votent pour la grève. Encore là, l’employeur voulait apporter des modifications au régime de retraite pour le rendre moins avantageux pour les nouveaux employés. On voulait offrir à ces employés un régime à cotisations déterminées, alors que les employés actuels ont un régime à prestations déterminées. « L’employeur nous disait que ces modifications étaient nécessaires, parce qu’il y avait des surplus sur le marché du ciment et que l’arrivée d’une nouvelle cimenterie à Port-Daniel allait créer une nouvelle concurrence et accentuer la situation, dit François Cardinal, vice-président de la section locale du Syndicat des Métallos FTQ à Ciment Lafarge. Mais ces raisons n’avaient rien à voir avec le régime de retraite, en bonne santé et capitalisé à 112 %. »
La grève durera trois mois. « Pour tenter de faire accepter la proposition patronale, la direction disait que les employés actuels ne seraient pas touchés par cette clause. Cela ne concernerait seulement que les nouveaux », explique M. Cardinal. Les employés ont toutefois tenu le coup en solidarité avec les futurs employés et ils ont finalement remporté leur bataille. Ciment Lafarge allait offrir un seul régime de retraite, à prestations déterminées, à tous les employés, nouveaux et anciens. Au début mai, 84 % des employés acceptaient donc l’entente et retournaient progressivement au travail.
La nécessité d’une loi
Si les travailleurs de Ciment Lafarge ont pu éviter l’instauration d’un régime de retraite moins avantageux pour les nouveaux employés, contrairement à ceux de Brault & Martineau, c’est sans doute en raison de la nature des installations en cause, selon M. Carrière. « Il est plus facile de délocaliser les activités d’un entrepôt que de menacer de déménager les activités d’une cimenterie. »
Ces deux histoires sont aussi symptomatiques d’un phénomène plus large. « En l’absence d’une législation interdisant les clauses orphelin, un grand nombre d’entreprises tentent de réduire les avantages du régime de retraite qu’elles offrent à leurs nouveaux employés », assure Serge Cadieux, secrétaire général de la FTQ.
En 2004, 18 000 travailleurs avaient un régime de retraite discriminatoire au Canada, selon le rapport du Bureau de l’actuaire en chef du Canada. En 2014, ce chiffre avait augmenté à 581 000. « Et cela augmente sans cesse au fur et à mesure que de nouveaux employés sont embauchés », soutient M. Cadieux, qui estime qu’au Québec, cette discrimination touche 150 000 travailleurs.
Pour M. Cadieux, il est donc urgent d’agir. Et les astres seraient bien alignés pour l’adoption d’une législation. « Le Parti libéral a adopté en juin une résolution demandant la fin des régimes de retraite discriminatoires, et tous les partis politiques québécois sont pour l’adoption d’une législation. »
Pour mettre de la pression sur le gouvernement, la FTQ, la Commission-Jeunesse du Parti libéral du Québec et Force Jeunesse ont récemment uni leurs voix pour demander la fin des clauses de disparité de traitement touchant les régimes de retraite, mais aussi d’autres avantages sociaux, comme les régimes d’assurance maladie complémentaires.
« C’est le rôle de l’État d’empêcher cette discrimination systémique, dit M. Cadieux. Ce n’est pas aux travailleurs de faire cette bataille. »
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