Quinze dollars l’heure, une question de décence

Martine Letarte Collaboration spéciale
C’est un mythe de croire que les travailleurs payés 10,75 $ l’heure sont majoritairement des étudiants.
Photo: Annik MH de Carufel Le Devoir C’est un mythe de croire que les travailleurs payés 10,75 $ l’heure sont majoritairement des étudiants.

Ce texte fait partie du cahier spécial Syndicalisme

La Centrale des syndicats du Québec (CSQ) fait partie de la coalition 5-10-15, qui réunit plusieurs organismes de lutte contre la pauvreté et groupes de femmes pour revendiquer des changements dans la loi afin d’assurer un salaire minimum à 15 $ l’heure, dix jours de congé payé de maladie ou responsabilités familiales et cinq jours de délai pour connaître son horaire de travail.

À la CSQ, presque tous les membres gagnent au moins 15 $ l’heure. Les rares exceptions sont dans les milieux communautaires. La centrale syndicale tenait tout de même à faire partie de la coalition afin de rehausser la qualité de vie et les conditions de travail de l’ensemble des milieux, syndiqués ou pas.

« Cela fait partie de notre mission, et il faut dire aussi que nos membres travaillent majoritairement dans les milieux de la santé, de l’éducation et de la petite enfance, alors nous sommes aux premières loges pour constater les effets de la pauvreté sur les enfants, les jeunes dans les écoles et les personnes âgées », affirme Louise Chabot, présidente de la CSQ.

La lutte s’inscrit en cohérence avec le mouvement de mobilisation de nos voisins du Sud pour obtenir le salaire minimum à 15 $.

« Ce montant a été établi parce qu’il assure au travailleur à temps plein un salaire viable, c’est-à-dire qui lui permet de vivre décemment dans un logement et de se payer un panier d’épicerie », explique Louise Chabot.

Aux États-Unis, il y a des gains. Les États de la Californie et de New York ont ratifié en avril des lois pour hausser le salaire minimum à 15 $.

Large appui de la population

 

Au Québec, la CSQ constate que la pression est forte pour faire bouger le gouvernement. L’appui de la population est important.

« Un taux horaire à 10,75 $, ça n’a pas d’allure, on s’entend là-dessus », affirme Louise Chabot.

La CSQ a commandé un sondage CROP en septembre, et 74 % des répondants sont d’accord avec l’augmentation à 15 $. De plus, 47 % des personnes sondées ont affirmé que l’outil de prédilection pour lutter contre le phénomène des travailleurs pauvres devrait être le salaire minimum.

Puis, c’est un mythe de croire que ces travailleurs à 10,75 $ l’heure sont majoritairement des étudiants.

« En fait, les chiffres du gouvernement nous indiquent que les travailleurs au salaire minimum sont à 58 % des femmes, à 64 % des gens de 20 ans et plus, 63 % d’entre eux ne sont pas aux études et 40 % travaillent à temps plein, précise Mme Chabot. On est loin du stéréotype de l’adolescent chez ses parents qui étudie et travaille à temps partiel. »

Cette hausse aurait d’ailleurs un effet sur une grande partie de la population du Québec.

« Il y a près d’un million de travailleurs qui ne gagnent pas 15 $ l’heure », précise la présidente de la CSQ.

Opposition du milieu des affaires

 

Dans le milieu des affaires, il y a bien sûr Alexandre Taillefer qui crie haut et fort son appui au salaire minimum à 15 $ l’heure, mais il semble être la voix discordante.

Le Conseil du patronat et la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante sont farouchement opposés à cette hausse en raison des impacts qu’elle aurait sur les entreprises et l’économie québécoises. Ils proposent plutôt des mesures fiscales pour s’assurer que les travailleurs puissent avoir un niveau de vie décent.

L’économiste Pierre Fortin est aussi d’avis qu’une hausse immédiate du salaire minimum à 15 $ serait l’équivalent d’une « bombe atomique » sur l’économie du Québec et pourrait faire perdre 100 000 emplois.

Des propos qui ne démontent pas Louise Chabot.

 

« Il faut relativiser les chiffres, dit-elle. D’ailleurs, la Colombie-Britannique a haussé le salaire minimum de 28 % en 2011 et, pendant cette année, 3800 emplois se sont perdus, alors qu’on prédisait [une perte] de 26 000 à 52 000. Je ne dis pas qu’il n’y aurait pas d’impact, mais il ne serait pas nécessairement si important et il y a une plus-value à sortir des gens de la pauvreté. »

La CSQ est aussi d’accord pour réaliser la hausse de façon progressive et envisager le soutien de certaines petites entreprises.

« Mais ne me parlez pas de l’appauvrissement des Walmart et McDo de ce monde avec la hausse du salaire minimum ! Il ne faudrait pas non plus l’étaler sur 10 ans, parce qu’on ne parlerait plus de 15 $ l’heure. »

Historique de luttes sociales

 

La centrale syndicale n’en est pas à sa première lutte du genre.

Dans les années 1970, la CSQ (CEQ à l’époque) a fait front commun avec les autres grandes centrales syndicales pour obtenir la semaine à 100 $. Dans les années 1990, elle a milité dans le grand mouvement social et pris part à la Marche du pain et des roses, qui revendiquait l’équité salariale, qui a été accordée, et une hausse du salaire minimum.

« Nous voulions que la hausse du salaire minimum permette aux travailleurs de franchir le seuil de pauvreté, et nous avions obtenu un gros 10 sous l’heure, ce qui avait été reçu comme une gifle », se souvient Louise Chabot.

La CSQ s’est également battue pour le Régime québécois d’assurance parentale. Dans la même veine, elle fait maintenant partie de la Coalition pour la conciliation famille-travail-études, qui demande au gouvernement d’adopter une loi-cadre pour forcer les milieux de travail et d’études à adopter, après consultation des premières personnes concernées, des mesures pour faciliter la conciliation.

« C’est le maillon qui manque à la politique familiale au Québec », affirme Louise Chabot.

La CSQ participera également prochainement aux consultations du gouvernement pour modifier le Régime de rentes du Québec.

 

« La majorité de nos membres ont le régime de retraite du secteur public, mais 60 % de la population n’a pas de régime complémentaire de retraite, indique Louise Chabot. C’est certain que nous allons revendiquer un caractère plus universel de la protection sociale et une augmentation des prestations données aux retraités. »

Ces grandes mobilisations ont des visées sociales plus que syndicales.

 

« Comme grande centrale syndicale, nous devons lutter pour avoir une société plus juste et plus équitable, affirme Mme Chabot. Les iniquités se creusent au Québec, et nous devons continuer la lutte pour obtenir des avancées au bénéfice de toute la population. »

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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