Clitoridienne ou vaginale? Toutes ces réponses, et bien plus encore

Tout est érotiquement possible… si ce n’était de nos imaginaires érotiques inhibés et notre vision rigide de la sexualité féminine. Voilà une des conclusions parallèles de l’étude menée par James Pfaus, de l’Université Concordia. Dans Le tout versus la somme des parties, lui et son équipe retracent l’histoire des éternels débats sur l’essence — clitoridienne ou vaginale ? — des orgasmes féminins. Conclusion ? Beaucoup de salive en 2000 ans de controverses qui aurait pu servir à des fins plus intéressantes. Car l’orgasme féminin ne provient pas seulement et mécaniquement d’un seul organe : il est propulsé tout autant par le contexte, la position du corps, les grimaces de jouissance, les habitudes antérieures, l’exploration, et plus encore…
Bonnes nouvelles des étoiles : l’orgasme des femmes est évolutif. Avec de l’exploration et de l’abandon, le cerveau peut intégrer de nouvelles expériences orgasmiques. « Je voulais refaire l’histoire de ce que nous avons cru, de la manière dont la pensée a changé au fil du temps, explique en entrevue le professeur en neurosciences et psychologie. Et voir ce qu’on retient de cette évolution. » Pas grand-chose, conclut-il tristement, admettant que la société est très en retard dans cette discussion, et que les médias y sont probablement pour quelque chose…
Perspective neuroscientifique
« On en est toujours aujourd’hui à ce stade très binaire, à discuter pour savoir si l’orgasme est clitoridien ou vaginal, avec des discours comme celui de l’italien Puppo, qui voit encore le vagin comme un trou, vide. Ce qui est une fausseté. » Cet obstiné retour du balancier va à l’encontre, selon M. Pfaus, de ce qu’on sait du cerveau et de son organisation.
D’une perspective neuroscientifique, explique-t-il « la cartographie physique et érotique d’une femme n’est pas inscrite dans la pierre. C’est l’expérience qui la trace et la crée ; c’est le corps, répondant à ce qu’il vit, qui remodèle sans cesse ses réactions en y ajoutant les nouvelles expériences, qui les interprètent différemment selon le contexte. Et peuvent survenir de réels changements physiques, intégrés — et s’ils le sont, c’est OK ; et s’ils ne le sont pas, c’est aussi OK, et nous n’avons pas à débattre de quel orgasme devrait être “meilleur”. Le corps est plus ouvert que ça. »
Car sur le cortex, sur l’homonculus sensitif, se trouve une représentationgrossière, disproportionnée, surréaliste en quelque sorte du corps, où certaines régions comme la tête ou la langue sont beaucoup plus larges qu’en réalité, alors que les petits orteils, au contraire, y sont réduits. « Quand on observe là les régions génitales des femmes, on trouve des zones confluentes : le col de l’utérus, le point G, le clitoris, les mamelons, la partie interne de l’oreille [!]; et juste à côté, d’autres régions, qui sont essentiellement vos zones érotiques », des zones peut-être personnelles, uniques. « Quand vous stimulez celles-là, elles débordent en quelque sorte, et activent une conscience sensorielle des parties génitales. C’est ainsi que nous sommes câblés. »
Pavlov et Éros
En résumé, tous les orgasmes sont différents — ce qui semble magique quand on sait que le « mécanisme biologique » qui les déclenche est le même chez tous les humains. Faut-il en conclure que l’exploration sera toujours à recommencer, à chaque nouveau partenaire, pour apprendre les causes et gestes du plaisir ? « Oui. Mais ça veut aussi dire que tout est toujours à découvrir ! », s’exclame M. Pfaus avec enthousiasme. Le corps entier est potentiellement érotique et érogène, poursuit-il, et des « zones conditionnelles » peuvent s’y activer. « Si se faire sucer les orteils n’est vraiment pas érotique pour une personne qui a craint la saleté, mais qu’elle se le fait faire dans un contexte érotique qui apporte une gratification sexuelle, son cerveau pourra alors concevoir que, dans certaines circonstances, le geste est érotique. Il y a plein de gestes auxquels notre cerveau peut s’ouvrir, qu’il n’imaginait pas érotiques de prime abord. Nous sommes un peu comme des chiens de Pavlov… »
Peut-on à ce point faire exploser les barrières dès le début d’une relation, demande-t-on au psy, et sortir des partitions érotiques formatées sans avoir l’air freak ? « Je crois qu’il faut être un freak, et assumer, » sans quoi l’unicité est impossible. « Et nous gagnerions à comprendre encore mieux l’orgasme et ses contextes ; pas comme une singularité ni comme un réflexe, mais comme signification, » et mythologie individuelle, poursuit le professeur.
« Il est temps de comprendre vraiment que les femmes sont des êtres à part entière et pas simplement là pour servir au plaisir des hommes. Elles ont du plaisir ; ce plaisir est réel et n’est pas celui des hommes. Je refuse d’être comme Puppo, à dire aux femmes ce qu’elles ne sont pas censées sentir. Ce que je voudrais leur dire, au contraire, c’est d’avoir la même audace que celle que le patriarcat octroie de facto aux hommes, pour explorer. Et encore, la comparaison est boiteuse, car les hommes n’explorent pas : ils découvrent leur pénis, et voilà, ils sont contents. Au contraire, il est important que les femmes explorent tout leur corps, et qu’elles trouvent des partenaires qui vont les aider dans cette voie. En tant que scientifique, ce que je dis, c’est : le cerveau est ouvert. »