Défilé de la fierté gaie de Montréal: s’affirmer pour tous ceux qui se taisent

Des participants d’origines diverses ont pris part au défilé de cette année.
Photo: Annik MH de Carufel Le Devoir Des participants d’origines diverses ont pris part au défilé de cette année.

La présence du premier ministre Justin Trudeau au défilé de la fierté gaie a marqué l’histoire, mais a aussi impressionné Malika, une jeune Camerounaise qui a encore du mal à prononcer les mots « fière » et « lesbienne ».

Rassemblement incontournable de la diversité sexuelle à Montréal, la « Fierté » a pris plus que jamais des airs de grand-messe politique dimanche. La venue pour la première fois d’un premier ministre en fonction couronnait une longue liste de personnalités publiques. Les organisateurs ne craignent pas la récupération politique, au contraire : « Ça vient dire qu’on est considérés, que notre message est passé », a exprimé au Devoir le porte-parole de Fierté Montréal, Jasmin Roy.

Photo: Annik MH de Carufel Le Devoir Après avoir écrit l’histoire en participant aux défilés de la fierté gaie de Toronto et de Vancouver, Justin Trudeau a fait de même dimanche en devenant le premier premier ministre en fonction à participer à celui de Montréal.

Malika, elle, se pince. « Bon dieu, c’est grandiose, merci ! » Enchaînant les « ça alors », les « j’y crois pas », cette trentenaire voyait pour la première fois des politiciens prendre position aussi fermement en faveur de la diversité sexuelle. Arrivée au Canada il y a à peine un an, elle a fait une demande d’asile au motif de persécution à cause de son orientation sexuelle.

« Il faut passer le message que les droits LGBT sont des droits humains qu’il faut respecter à travers la planète », a affirmé Justin Trudeau, comme s’il s’adressait à elle. « Nous avons un rôle à jouer à l’international », soulignait quelques minutes auparavant le maire Denis Coderre.

« Je ne compte plus il y a combien d’années que je participe », a ajouté Manon Massé, députée de Québec solidaire, en marge du point de presse. Lesbienne et féministe, elle est l’une des politiciennes qui maîtrisent le mieux les nuances de l’arc-en-ciel de la diversité sexuelle. « Je pense que le Québec est un endroit d’ouverture où l’on peut aller plus loin et montrer l’exemple », a-t-elle poursuivi.

Être homosexuel met la sécurité en péril dans 73 pays, a quant à lui détaillé le président fondateur de Fierté Montréal, Éric Pineault. « Comme au Cameroun », « comme au Cameroun », acquiesçait Malika en secouant ses mauvais souvenirs : « Tu es lesbienne, je vais te tuer. »

Devoir se nier

 

Le coup d’envoi donné, les drapeaux du monde entier flottaient d’ailleurs au-dessus du groupe Arc-en-ciel d’Afrique, ouvrant le défilé. La flamboyance mise en avant par les quelque 6000 marcheurs et la foule record massée autour de René-Lévesque contrastait avec la retenue et la gêne dissimulée de Malika.

« Je pensais qu’on allait nous lancer des tomates », confiera-t-elle ensuite. En voyant l’emblème de son pays flotter, le rythme de la musique qui lui prend le pied, Malika se presse aux abords du défilé avec de plus en plus de confiance : « Je vais envoyer des photos à mes amis, ils ne vont pas me croire ! »

Au Cameroun, une personne qui a des rapports sexuels avec une personne du même sexe risque une amende variant entre 45$ et 450 $, en plus d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à cinq ans. « Et la prison, c’est déjà l’enfer là-bas, alors imagine si tu es gai ou lesbienne », glisse Malika.

Une avocate lauréate du prix Amnesty International pour les droits humains, Me Alice Nkom, y reçoit régulièrement des menaces de mort. L’un de ses clients, Roger Jean-Claude Mbédé, est mort en 2014, des suites de ses blessures et de l’insuffisance de soins à sa sortie de prison. Il y avait purgé une peine de trois ans pour un message texte « Je suis très amoureux de toi ».

Hommage aux victimes d'Orlando

L’exubérance et la joie se sont aussi tues le temps d’un moment de silence dédié à la mémoire des victimes d’Orlando. Tête baissée, Malika pensait à son propre calvaire. « Je faisais passer mon meilleur ami pour mon copain, je devais me cacher. Je ne vivais pas, je vivotais », résumera-t-elle plus tard, assise pour se restaurer. Un ami de cette Camerounaise a été empoisonné le mois dernier.

En plus de la pression sociale et étatique, c’est à l’intérieur même de la famille que l’orientation sexuelle est réprimée. Ses parents ont été convoqués plusieurs fois devant la police à cause d’agissements rapportés, « vrai ou faux, tout le monde en profite pour extorquer de l’argent », se désole la jeune femme. « J’ai dû nier devant eux », poursuit-elle. Les liens familiaux ayant été rompus puis réparés, elle préfère garder l’anonymat.

« Je suis encore bloquée dans ma tête, j’ai même du mal à aborder une femme. Mais ce que j’ai vu aujourd’hui, ça me libère, je vais peut-être m’exprimer. » L’air las de celle qui a claquemuré son identité pendant trop longtemps, les épaules remontées, elle dit pour la première fois depuis le début de la journée « je suis lesbienne, je suis fière ».

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