Quand un homme de Dieu rencontre Sarah

En quête d’histoires d’amour réelles, Le Devoir s’est invité dans des mariages de diverses communautés culturelles, aux rites et traditions pluriels. Notre série Quatre mariages et un enterrement vous promène de voeux en voeux dans des rituels qui soulignent l’amour… Et la mort. Deuxième de cinq textes.
Qui d’autre que Dieu aurait pu faire se croiser les destins de Fabrice Mugaragu et Sarah Pyndji ? Lui, un Rwandais francophone né au Burundi, employé d’une compagnie aérienne spécialisée dans le transport cargo qui a voyagé de l’Ukraine à l’Australie, en passant par Dubaï et de nombreux pays de l’Afrique subsaharienne, et elle, jeune Congolaise anglophone née à Bukavu, qui a grandi en Tanzanie et étudié à Terre-Neuve en sciences politiques avant d’atterrir à Montréal il y a deux ans.
C’est donc l’Église qui les a réunis par un beau dimanche où, devenu pasteur, Fabrice — au nom prédestiné puisque Mugaragu signifie « serviteur » en kinyarwanda — a prononcé un sermon à ses fidèles de l’assemblée chrétienne Shekinah, dans Côte-des-Neiges. « Je venais de déménager à Montréal. J’étais arrivée un vendredi et le dimanche, la famille chez qui je vivais m’a emmenée à son église », raconte la pétillante Sarah, âgée de 27 ans, dont la mère vient du Rwanda, le pays des mille collines. « Après le service, il est venu me souhaiter la bienvenue. Dans mon coeur, j’ai pensé : “ Il a l’air d’un gentil garçon”. »

Fabrice, beaucoup plus posé et réservé, se fait avare de détails sur ce qui l’a séduit chez sa belle. « De dimanche en dimanche, après avoir parlé avec elle pendant des mois et des mois, je savais qu’elle avait ce que je cherchais », explique-t-il, plus pragmatique. C’est-à-dire ? « Certaines valeurs. Comme l’honnêteté, la famille. Si on fonde un foyer, ce n’est pas pour divorcer. Évidemment, personne ne peut anticiper ça, mais il faut essayer autant que possible. Parce que c’est beau quand ça peut durer toute la vie ».
Déjà, plusieurs membres de leur Église avaient tenté de marier le destin de Fabrice qui, selon eux, se faisait vieux. Mais le Rwandais, aujourd’hui âgé de 39 ans, a résisté. Quand on est pasteur et célibataire, et qu’on a la mission d’aider et d’éclairer le chemin des brebis égarées, les sollicitations sont nombreuses. Il ne faudrait surtout pas abuser de son autorité et de son charisme. « Ça demande d’avoir des principes », confirme Fabrice.
Mais il a dû se rendre à l’évidence : il y avait une jeune fidèle qui avait une personnalité plus éclatante, à l’opposé de ce qui se reflétait dans ses sages sermons, qui faisait inévitablement battre son coeur. Sarah. Il a tenu à rapidement officialiser son amour et à lui demander sa main, vu ses fonctions au sein de l’Église. « Je suis direct et je sais ce que je veux. Après avoir prié et demandé la permission de Dieu, je suis allée lui dire que je l’aimais. » Sarah le taquine. « Il est venu “ m’informer ” qu’on allait se marier », précise-t-elle en riant.
Mille cérémonies aux mille collines
La grande demande ne s’est pas faite devant toute la communauté après le sermon. Non. Il ne fallait pas mélanger les choses de l’Église et les questions de coeur, croit l’homme âgé de 39 ans. « Il y a Fabrice, l’homme, et Fabrice le pasteur », dit-il.
Ils ont scellé leurs fiançailles dans l’intimité, mais Fabrice a néanmoins tenu à réserver une belle surprise à son amoureuse : une célébration officielle dans un grand restaurant de Montréal. Un vrai coup monté avec près d’une centaine de proches et amis, tous complices de cet amour. « Il m’a vraiment eue », reconnaît Sarah.
Mais les célébrations ne se sont pas arrêtées là. Car pour quiconque venant du pays des mille collines, les mariages sont faits d’autant de cérémonies et de rites. « Dans la culture africaine, toutes ces traditions sont très importantes. Déguerpir à Vegas n’est pas une option ! », rappelle Sarah.
Parmi de nombreux rites coutumiers, qui sont encore célébrés symboliquement aujourd’hui, vient d’abord la «gufata i rembo». L’amoureux, accompagné de membres de sa famille, va rencontrer la famille de la jeune fille qu’il convoite pour lui annoncer qu’il songe à la courtiser. Cela évite les quiproquos, lorsqu’il y a plusieurs prétendants. C’est aussi l’occasion d’un premier contact pour les deux familles. « C’est mon petit frère qui a réuni ma famille, qui était au Rwanda, et celle de Sarah, qui était en Tanzanie. Ce contact est important pour savoir si la femme est entre de bonnes mains. » Fabrice courtisait déjà secrètement Sarah, mais a tenu à respecter ce rite pour officialiser les choses.
Ensuite, après les fiançailles, vient l’importante — et presque obligatoire — coutume de la «gusaba», qui est la demande en mariage. Les deux familles doivent être réunies et des représentants de la délégation du fiancé, doivent, en l’absence des deux époux qui sont tenus à l’écart dans une autre pièce, négocier ferme l’obtention de la main de la fiancée. Feintes, faux refus et pièges verbaux, cette cérémonie ressemble à un concours oratoire culturellement codé, une joute verbale que se livreraient des avocats dans un tribunal. Tenues traditionnelles de mise. « Il faut vraiment avoir fait des recherches sur la famille de l’autre et bien connaître le contexte culturel », explique Fabrice.
Par exemple, la famille de Sarah a émis des réserves au sujet de la vocation de celle de Fabrice, des cultivateurs, craignant que leurs futurs enfants ne soient que nourris que de pommes de terre. « Ma famille a répondu que nous savions que c’est le lait qui est indiqué pour les enfants, raconte le pasteur. Les accusations sont souvent fausses, mais c’est pour voir comment la famille de l’autre va s’en dépêtrer. C’est une façon de mieux connaître la famille de l’autre, ses valeurs. » Après l’échange, qui peut durer des heures, les futurs époux font leur apparition, ayant eu la bénédiction des familles. C’est la remise de l’«inkwano» (la dot) qui, selon la tradition, consiste en quelques vaches, laitières ou non, selon la richesse de la famille. Souvent, une somme symbolique est versée à la famille de la fiancée.
Mariage au château
En plus des rites coutumiers, Fabrice et Sarah se sont mariés civilement au début de l’année 2016. Et, occidentalisation oblige, un mariage princier a été célébré devant des centaines de personnes en juillet dernier, au Château classique de Saint-Léonard. Les femmes en paillettes et satin aux couleurs vives, les hommes en complet noir. Sous les néons mauves et roses et des chants gospel soutenus par les notes d’un synthétiseur, le pasteur a animé une cérémonie moderne, faite de témoignages de proches et de conseils. Un sermon rempli d’humour et de quelques clichés sur le couple où le représentant de l’église a discouru sur l’importance de l’écoute et du respect et du fait qu’il ne faut pas être dupe : la passion n’est pas éternelle.
Une somptueuse réception a suivi, tout en prière, danse et musique traditionnelle rwandaise. « Cette fois, c’est la famille de l’homme qui accueille la mariée », explique Fabrice. Plus tard, les époux ont changé de tenue et la mariée, et sa culture congolaise, fut mise à l’honneur. Tristement, quelques membres de la famille n’ont pu assister au mariage, notamment la mère de Sarah, faute de visa. La jeune femme sera elle-même confinée au Canada pour son voyage de noces, n’ayant pas les papiers lui permettant de sortir du pays.
Les célébrations du mariage se terminent inévitablement par la «gutwikurura», une visite officielle de la famille de la mariée qui s’assure que celle-ci est bien installée et qu’il ne manque rien au nid d’amour. On apporte des vivres et à boire aux mariés, surtout le lait, symbole de richesse et de prospérité, consommé dans presque tous les rituels. « C’est très important dans notre culture. Quand une famille peut se le permettre, elle donne des vaches laitières en dot », souligne Fabrice.
D’ailleurs, l’histoire ne dit pas combien de vaches ont été — symboliquement — promises en échange de la belle Sarah. Mais à voir l’amour dans les yeux de Fabrice, parions que c’est tout un cheptel.