Un jugement de la Cour du Québec ouvre la porte au tourisme procréatif

Le dernier jugement de la Cour du Québec, qui vient reconnaître à un père le droit d’adopter des jumelles conçues par une mère porteuse en Inde, ouvre une brèche importante en matière de tourisme procréatif, estime Alain Roy, président du Comité consultatif sur le droit de la famille.
« Maintenant, on sait que les couples québécois qui vont aller en Inde ou ailleurs dans le monde, peu importe les conditions exécrables dans lesquelles les mères porteuses évoluent là-bas, vont pouvoir revenir avec l’enfant et soumettre un projet d’adoption […]. Ça peut être reçu par les gens qui veulent un enfant comme étant une certaine forme de caution. »
En 2012, un couple homosexuel a déboursé 30 000 $ dans une clinique de Bombay pour qu’une femme porte leur enfant. Neuf mois plus tard, ils ramenaient au pays des jumelles. Comme l’acte de naissance mentionne le nom d’un seul des deux hommes — le père biologique —, son conjoint a déposé une demande pour adopter les fillettes.
Mes clients ont ouvert la voie, sauf que dans le processus, ils ont l’impression d’avoir été utilisés par le système
Mais pour Québec, c’en était trop. La procureure générale a porté le dossier devant les tribunaux, sous prétexte que « le fait d’entreprendre la démarche en Inde a permis de contourner des impératifs légaux et de porter atteinte à la dignité humaine par l’instrumentalisation du corps de la femme et la marchandisation de l’enfant », ce qui va à l’encontre de « l’ordre public international ».
L’intérêt de l’enfant d’abord
Quatre ans plus tard, la juge Viviane Primeau, de la Cour du Québec, donne raison aux parents : « Le débat entourant la question des mères porteuses ne doit pas se faire aux dépens des enfants ici concernées », écrit-elle dans son jugement, daté du 6 juillet. Elle s’appuie sur la jurisprudence qui soutient qu’en matière d’adoption, l’intérêt de l’enfant doit prévaloir sur les circonstances entourant sa naissance.
« Compte tenu de l’état du droit actuel, la juge n’avait pas le choix de reconnaître le processus d’adoption, résume Alain Roy. Si on pénalise un enfant parce que ses parents se sont prêtés à quelque chose que l’on juge immoral, on revient à l’époque des enfants illégitimes qu’on privait de filiation parce qu’ils étaient nés d’un acte adultère ou hors mariage. »
Au Conseil du statut de la femme, qui s’est penché sur le tourisme procréatif en Inde dans son dernier avis sur les mères porteuses, ce jugement de la Cour du Québec « représente les contradictions et les paradoxes dans ce dossier ».
« Jamais on ne pourrait être d’accord avec la démarche de ces parents qui sont allés en Inde, dénonce avec conviction Julie Miville-Dechêne. Pour nous, c’est de l’exploitation éhontée. »
Mais que faire une fois que les enfants sont conçus et ramenés au pays ? La présidente du Conseil du statut de la femme n’a d’autre choix que d’adhérer au jugement de la Cour du Québec. Et ce, même si elle est consciente que cela vient avaliser une pratique qu’elle dénonce. « La meilleure façon de ne pas encourager la pratique, ce serait de ne pas reconnaître les enfants. Mais si on faisait ça, on abandonnerait les enfants à leur sort. »
Elle rappelle que l’expérience a été tentée en France. « C’est assez terrible, ils ont enlevé un enfant à des parents qui avaient acheté les services d’une mère porteuse aux États-Unis et l’enfant s’est retrouvé en adoption ouverte. Imaginez, du point de vue de l’enfant, ce que ça représente. »
Intervention législative réclamée
Professeure à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, Michelle Giroux estime que c’est un jugement important, qui « témoigne de l’importance d’une intervention législative », tant à Québec qu’à Ottawa.
Un constat partagé par l’avocate Julie Lavoie, qui représente les parents dans ce dossier. « Mes clients ont ouvert la voie, sauf que dans le processus, ils ont l’impression d’avoir été utilisés par le système. C’est un débat de société, pas un débat qui les concerne eux, personnellement. Plutôt que de s’acharner sur le sort de ces deux parents, Québec devrait plutôt réviser sa législation. »
Au cabinet de la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, on évalue la possibilité de porter le jugement en appel.