L'horloge parlante résiste au temps

Des centaines de milliers de Canadiens interrogent encore l’horloge parlante chaque année. Mais la gardienne du temps national et universel rend bien d’autres services essentiels.
L’horloge parlante du Canada fonctionne encore et elle s’exprime toujours dans les deux langues. En français, c’est la voix de l’animateur de télé Simon Durivage qui annonce ces jours-ci l’heure de l’Est exacte au début d’un trait sonore diffusé à des intervalles de dix secondes,
Pour l’entendre, il suffit de composer le (613) 745-9426. L’an dernier, 316 000 personnes ont utilisé ce service. Les frais d’interurbain sont à la charge du client.
On répète : alors que les ordinateurs et les cellulaires omniprésents donnent l’heure très exacte partout, tout le temps, chaque jour, presque mille personnes appellent encore un répondeur à Ottawa pour ajuster leur pendule, leur coucou ou leur rendez-vous. L’horloge parlante, c’est tellement XXe siècle…
Il n’y a rien de vraiment exceptionnel dans cette anachronique pratique nationale. Trois millions d’Américains consultent annuellement la « speaking clock » du Naval Observatory.
Le GPS exige une très grande précision temporelle. Une erreur d’une nanoseconde crée une dérive de trente centimètres dans le positionnement.
« Franchement, je ne sais pas pourquoi les gens nous appellent encore, dit Pierre Dubé, chercheur au Conseil national de recherches Canada (CNRC) à Ottawa, grand spécialiste de la mesure du temps. Ceux qui ont pris l’habitude d’entendre l’horloge parlante la conservent peut-être. Le problème, c’est que nous n’avons pas de statistiques pour déterminer la démographie de nos clients. »
Peu importe, l’information recueillie s’avère on ne peut plus fiable. Le CNRC fournit le tic et le tac avec son horloge atomique au césium développée dans les années 1950. La mécanique utilise la pérennité et l’immuabilité du rayonnement électromagnétique émis par un électron pour le comptage du temps. Il faudrait 160 millions d’années pour que la plus fiable des horloges au césium dérive d’une seconde complète.
Une brève histoire
Les niveaux d’exactitude allant jusqu’aux nanosecondes s’avèrent nécessaires dans plusieurs domaines stratégiques, militaires, économiques ou scientifiques. La mesure infiniment précise du temps sert en astrophysique, en géodésie comme en radiodiffusion ou en navigation.
« Le GPS exige une très grande précision temporelle, dit Pierre Dubé. Une erreur d’une nanoseconde crée une dérive de trente centimètres dans le positionnement. Il faut donc des horloges très précises et parfaitement synchronisées pour contrôler les systèmes de navigation des avions, par exemple. »
Même les marchés financiers exigent maintenant des mesures ultraprécises du temps. Les ordinateurs du capitalisme financier transigent à des vitesses mirobolantes qui nécessitent des décomptes ajustés en deçà de la microseconde.
Le laboratoire d’Ottawa travaille sur un prototype d’horloge atomique qui sera installé à la Bourse de Toronto, une norme de plus en plus admise dans les grands centres financiers du monde. Time is money…
Le CNRC offre plusieurs autres services liés au temps. Son protocole d’heure réseau (NTP en anglais) fournit la référence temporelle aux ordinateurs réseautés. Les serveurs du laboratoire gèrent vingt milliards de requêtes automatisées par année.
Le Centre émet aussi évidemment le signal horaire officiel diffusé par les stations de Radio-Canada : « Au début du trait prolongé, il sera exactement… »
Du temps pour du temps
La précision s’améliore sans cesse. Pierre Dubé est un rare spécialiste mondial des horloges optiques à ion de strontium. L’horloger atomique a travaillé avec un collègue maintenant à la retraite pour construire cette nouvelle montre nationale depuis le début du siècle. Il espère déboucher sur un appareil fonctionnel dans une dizaine d’années. Il faut du temps pour faire du temps.
Des projets concurrents misent sur les ions d’aluminium, d’ytterbium, de mercure ou sur plusieurs atomes neutres (ou froids) piégés par la lumière d’un laser.
« Le temps est présentement défini à partir des oscillations à une certaine fréquence d’un atome de césium, explique M. Dubé. Dans une montre, ce rôle est joué par un quartz. L’atome a l’avantage d’être éternel et constant. Pour construire des horloges encore plus précises, on travaille avec des transitions 100 000 fois plus grandes. Les horloges en développement devraient améliorer la précision déjà phénoménale de la mesure de ce qu’on appelle les fontaines de césium d’une centaine de fois. On peut dire que sept ou huit atomes se font la lutte en ce moment pour dominer le calcul du temps. »
Être et temps
Le pays se positionne dans le peloton de tête des labos performants. Les résultats expérimentaux placent l’horloge optique du CNRC au troisième rang des meilleures performances mondiales pour les horloges optiques, derrière le Physikalisch-Technische Bundesanstalt, l’agence de métrologie allemande, et le laboratoire national américain (NIST), qui mise sur un ion en aluminium.
« Nous sommes en collaboration continuelle avec les autres pays, dit le chercheur Dubé. Nous comparons continuellement nos signaux pour valider nos résultats. Nous contribuons aussi à la constitution d’un temps international. »
L’horloge canadienne s’inscrit elle-même dans un réseau mondialisé d’horloges atomiques et de laboratoires d’étalonnage du temps qui sert à construire un Temps universel coordonné (UTC). Environ 70 centres de recherches semblables fournissent les données de quelque 400 machines complexes au Bureau international des poids et mesures de Paris pour fixer l’heure du monde.
L’heure de référence de la Terre est ajustée chaque année en fonction du temps obtenu par la rotation irrégulière de la terre, si nécessaire en ajoutant une seconde intercalaire avant 00 h 00 UTC le 1er janvier ou le 1er juillet.
« Il n’y aura pas de seconde intercalaire ajoutée au temps universel ce 1er juillet, dit M. Dubé. La dernière a été introduite l’an dernier, le 30 juin à 23 h 59 m 60 s. La prochaine n’est pas encore annoncée, mais on s’attend à en avoir une en décembre. »