La prison Leclerc interdite d’accès

Mélanie Martel, avocate, Lucie Lemonde, porte-parole de la LDL et professeure de droit carcéral, et Mélanie Sarazin, présidente de la FFQ
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Mélanie Martel, avocate, Lucie Lemonde, porte-parole de la LDL et professeure de droit carcéral, et Mélanie Sarazin, présidente de la FFQ

Nouvelle tentative de suicide, conditions sanitaires précaires, soins médicaux inadéquats, manque systématique de personnel, confinements, échanges avec des hommes : les conditions des femmes ne s’améliorent guère à la prison Leclerc, quelques mois après la fermeture du centre de détention non mixte Tanguay et le déménagement des détenues. Et, même s’il assure que Québec a corrigé les problèmes, le ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux, refuse d’ouvrir les portes à une « mission d’observation ».

La Fédération des femmes du Québec (FFQ) et la Ligue des droits et libertés (LDL) ont dénoncé conjointement mardi le fait que le ministre Coiteux leur interdise une visite de 48 heures pour constater la réalité que vivent ces détenues.

La démarche préconisée par la FFQ et la LDL est appuyée par l’Association des avocats et avocates de la défense de Montréal (AADM), l’Association des avocates et avocats en droit carcéral du Québec (AAADCQ), Femmes autochtones du Québec, l’Association des services de réhabilitation sociale du Québec (ASRSQ), l’Association des religieuses pour les droits des femmes (ARDF), la Société Élizabeth Fry et quelques autres groupes.

Selon Lucie Lemonde, professeure au Département de sciences juridiques de l’UQAM et porte-parole de la LDL, il ne s’agit pourtant que « de proposer des pistes de solution ». Dans les circonstances, la présidente de la FFQ, Mélanie Sarazin, se demande pourquoi le gouvernement, malgré ses engagements répétés à corriger rapidement la situation, se refuse à ce qu’elle soit observée et analysée de près de façon indépendante. La situation donne à penser que des droits fondamentaux sont bafoués, dit-elle.

En point de presse, le ministre Coiteux admet qu’il y a eu « un certain nombre de problèmes », mais « qu’il y a déjà toute une série de correctifs qui ont été apportés ».

La demande d’une mission d’observation a été déposée le 10 mai. Huit jours plus tard, la directrice de cabinet, Mme Isabelle Mignault, a rencontré des représentants de FFQ et la LDL. Elle a finalement décliné la proposition dans une lettre datée du 27 mai, « invoquant des motifs de sécurité et faisant valoir notamment que des correctifs avaient été apportés à la situation ».

En point de presse mardi, le ministre Coiteux indique que l’accès est limité : « il y a des lois, il y a des règlements qui prévoient qui peut y accéder ». Un refus sans fondement, fait valoir la juriste Lucie Lemonde. « J’ai amené des classes entières d’étudiants en prison. Il n’y avait pas de problème ! Nous n’acceptons pas ce refus », citant la loi qui prévoit que le ministre peut tout à fait les accepter.

Peu d’améliorations

Plusieurs témoins laissent entendre que la situation des femmes au pénitencier Leclerc s’est très peu améliorée depuis leur arrivée en février 2016. Les femmes continuent d’être en contact avec les hommes. Mélanie Martel, une avocate régulièrement en contact avec les détenues,cite le cas du parloir, où les femmes doivent traverser un espace commun. Il y aurait aussi des contacts hommes-femmes à l’infirmerie, ainsi que dans la cour intérieure, de même qu’au gymnase. « Je vous laisse imaginer les propos qui sont alors échangés. »

Les rapports mixtes perdurent bel et bien, confirme la bénévole soeur Marguerite Rivard, qui n’était pas présence à la conférence du groupe. En entrevue, soeur Rivard estime qu’il y a eu très peu d’améliorations, malgré les promesses qui lui ont été faites à la suite d’une rencontre avec Jean-François Longtin, le sous-ministre des services correctionnels. « Il y a eu des améliorations pour les douches. On paye aussi des taxis pour les femmes qui doivent sortir de là, pour qu’elles ne soient plus laissées au milieu de nulle part. Mais c’est peu de choses, vous savez… »

Pour l’essentiel, les conditions continuent d’être misérables. « Le système de santé est exécrable. Je viens de croiser une infirmière qui pensait démissionner tellement elle n’en pouvait plus. Les gardiens ne sont pas du mauvais monde, mais on est ici désormais dans la logique de la répression. Des femmes qui viennent ici pour quelques jours sont traitées comme si elles étaient des hommes dangereux. »

Une autre femme a fait une tentative de suicide la fin de semaine dernière. En avril, une détenue s’était enlevé la vie.

Manque de personnel

 

Les activités sont sans cesse annulées à cause d’un manque de personnel. « Les rencontres des Alcooliques anonymes et bien d’autres encore. S’il manque du personnel tous les jours, ce n’est pas normal », dit soeur Rivard.

« Plusieurs femmes n’ont toujours pas accès à des programmes. […] Les soins de base sont mal assurés. Il faut faire des requêtes pour de l’aspirine ou un sac de glace dans un cas de foulure », explique Me Martel.

Pour mettre plus de gens dans des cellules, on a entrepris de transformer des lits à une place en lits superposés. Sans échelle pour accéder au lit de l’étage supérieur, des accidents seraient survenus.

Et « les hommes prisonniers ne sont pas mieux traités. »

Des femmes sont encore enfermées dans leur cellule de 22 h à 11 h le lendemain matin, affirme Me Martel. Il manque de personnel pour distribuer un déjeuner. Une pomme ou un muffin est distribué à la va-vite.

Ombudsman

 

Me Martel dit avoir rédigé plusieurs plaintes à l’ombudsman des prisons. Pour le faire elles-mêmes, les prisonnières doivent en principe téléphoner directement à ce service grâce à une ligne téléphonique spécialement dédiée. Ce n’est pas toujours simple pour elles de le faire, soutient Me Martel. Au bureau de l’ombudsman, on dit tout de même recevoir des plaintes.

À Québec, le ministre Coiteux soutient devant les journalistes que l’ombudsman des prisons est la bonne personne pour traiter de ces problèmes. « C’est la personne toute désignée pour s’occuper de toute question relative aux enjeux qui ont été soulevés récemment. »

Au bureau de l’ombudsman, on explique que l’organisme publie un rapport annuel mais n’a pas les moyens d’intervenir directement. Cependant, deux visites ont été faites récemment au pénitencier Leclerc. Des problèmes ont été signalés au ministère de la Sécurité publique.

En point de presse, le ministre Coiteux a indiqué qu’il entendait proposer une solution « à long terme » pour les prisonnières, « parce qu’il faut réfléchir à la population féminine, à ses besoins spécifiques ».

Aux yeux de la présidente de la Fédération des femmes du Québec, « la situation est grave ». Selon Mélanie Sarazin, « les femmes paient cher les mesures d’austérité » en prison, lesquelles remettent en cause le respect de conventions internationales et de la charte des droits.
 

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