Des ratés pour le parrainage privé

Des représentants de la communauté syrienne de Montréal ont dénoncé les ratés du parrainage privé des réfugiés, un processus qui leur apparaît discriminatoire.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir

Des représentants de la communauté syrienne de Montréal ont dénoncé les ratés du parrainage privé des réfugiés, un processus qui leur apparaît discriminatoire.

Des représentants de la communauté syrienne de Montréal ont dénoncé les ratés du parrainage privé des réfugiés, un processus qui leur apparaît discriminatoire. Appelés à témoigner devant le Comité sénatorial des droits de la personne mardi, ils ont déploré les inégalités dans l’accueil, soulignant que la très forte majorité des Syriens qui arrivent sont de confessions autres que musulmanes.

« Ce n’est pas normal qu’une majorité de la population syrienne qui arrive maintenant ne soit pas musulmane », a indiqué au Devoir Faisal Alazem, un leader et militant syro-canadien des droits de l’Homme. « En regardant bien, on se rend compte que les parrainages privés ne sont accordés qu’aux églises chrétiennes, orthodoxes, etc., et pas aux musulmans », souligne-t-il.

Vérification faite auprès d’Immigration Québec : sur les dix organismes à but non lucratif qui parrainent des Syriens (ils sont surtout situés à Montréal), la vaste majorité est des églises ou des institutions aux valeurs chrétiennes. Un seul, à Sherbrooke, semble s’associer plus clairement aux valeurs de l’islam. « Parmi ces ententes-cadres, il n’y a aucune mosquée. Il me semble que c’est un problème », poursuit M. Alazem, qui dirige également la Fondation des enfants syriens.

À l’automne dernier, l’Ottawa Citizen révélait qu’au Canada, 90 % des réfugiés syriens parrainés au privé n’avaient pas l’islam comme religion mais étaient plutôt des minorités religieuses ou ethniques. « En 2013, sous Jason Kenney [alors ministre de l’Immigration], la grande majorité des parrainages privés d’Irakiens se faisait aussi auprès de la communauté chrétienne. Clairement, il y a un biais religieux pour ce qui est de ce type de parrainage. »

Discrimination apparente

 

Il s’inquiète de la discrimination, même sexuelle, que semblent vouloir faire certains de ces organismes parrains. « On sent la frustration. Il n’y a rien de plus moche que de fermer la porte à quelqu’un car il n’est pas de la bonne religion ou ethnie, ou même de la bonne sexualité. Je ne sais pas si c’est vraiment ce qui se passe, mais j’ai, en tout cas, voulu faire le point car c’est quelque chose qui me dérange. »

M. Alazem ne va pas jusqu’à dire que le gouvernement favorise ce type d’immigration ou le cautionne. « Je sais que le gouvernement fait un travail énorme d’accueil, mais le système fait en sorte que ça favorise cette situation et c’est un problème. Je demande au gouvernement de régulariser ce programme. » Il reconnaît toutefois qu’il est peut-être plus difficile pour certaines mosquées, généralement moins fortunées que certaines églises, de parrainer des familles syriennes. « Il faut au moins 12 000 $ par réfugié quand on veut parrainer », dit-il, saluant au passage le bon travail d’Action réfugiés Montréal.

Au ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion (MIDI), on assure que le ministère n’oriente pas le choix des parrainés. Un porte-parole a indiqué que plusieurs organismes de la communauté avaient été rencontrés avant même l’annonce des cibles du gouvernement Trudeau, pour leur expliquer comment fonctionnait le parrainage privé. « Peu importe la confession. Il y a eu un intérêt partout, mais ça a bougé naturellement pour ces organismes-là [non-musulmans] », a dit Jonathan Lavallée du MIDI.

Ratés en francisation

 

Les personnes convoquées devant le Comité sénatorial des droits de la personne ont également pointé d’autres choses qui ne tournent pas rond dans l’opération d’accueil des Syriens, notamment en francisation. Les délais sont trop longs avant que les réfugiés puissent s’inscrire, déplore M. Alazem. « C’est une question de congestion, je sais, mais il y a des gens qui après trois-quatre mois ne sont pas encore dans les écoles de francisation. » Conséquence ? L’intégration est plus lente et bon nombre de personnes sont plongées dans des situations économiques très précaires, étant privées de l’allocation qui est donnée à quiconque est inscrit en francisation.

Plusieurs réfugiés ont évoqué les problèmes grandissants de santé mentale chez nombre d’entre eux. D’autres ont dit avoir du mal à trouver des interprètes pour les visites médicales ou pour comprendre les documents qu’on leur envoie. « La semaine dernière, une famille nous a demandé si quelqu’un pouvait les accompagner à l’hôpital. Est-ce normal que quelqu’un qui vient d’arriver soit envoyé tout seul pour aller faire un test médical ? » note M. Alazem, qui pallie certaines de ces demandes.

Les personnes rencontrées par le comité sénatorial ont également critiqué le fait que les réfugiés, hormis ceux qui sont arrivés entre novembre dernier et février, devront rembourser leurs billets d’avion au gouvernement, de même que les coûts du bilan médical. Un fardeau supplémentaire, ont-ils déploré, même si c’est une pratique courante que d’exiger ces sommes des réfugiés.

Parmi les 7300 réfugiés syriens qu’il s’est engagé à recevoir d’ici la fin de 2016, le Québec en a déjà accueilli 5600. Contrairement au reste du Canada, où les réfugiés sont surtout pris en charge par l’État, le Québec est la seule province à avoir une majorité de parrainages privés (4700). Et ces derniers ne font l’objet d’aucun suivi. « C’est un fouillis pas possible, il n’y a rien qui est documenté », a constaté Stephan Reichhold, de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et des immigrantes (TCRI). « Personne au ministère n’a le mandat de les suivre au moment où ils arrivent. Leur intégration varie donc beaucoup. Il y a comme des classes sociales au sein du parrainage privé. Certaines familles ou certains organismes sont hyperorganisés, d’autres pas. »

Rappelons que les réfugiés pris en charge par l’État — ils ne sont pour l’instant que 940 au Québec — proviennent des camps, sont généralement plus démunis et le plus souvent de confession musulmane.

Un rapport en octobre

Le Comité sénatorial des droits de la personne analyse la situation des réfugiés syriens récemment arrivés au Canada pour connaître les difficultés auxquelles ils font face. Il a convoqué en audiences publiques à Toronto lundi et à Montréal mardi plusieurs organismes oeuvrant dans le secteur, dont des représentants de l’Alliance canadienne d’aide aux Syriens et de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et des immigrantes (TCRI), et a rencontré de nombreux réfugiés syriens. Il devrait remettre son rapport au plus tard en octobre 2016.


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