Pour les Syriens, un plongeon dans la réalité du rêve canadien

Elle a pris l’habitude de le faire avec les immigrants économiques — travailleurs, investisseurs et entrepreneurs —, mais lundi, la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM) a offert une expérience de réseautage à une clientèle bien particulière, tout juste soustraite aux affres de la guerre.
« Silva, restauration » ; « Fadi, mécanique » ; « Nadim, comptabilité » : derrière les porte-noms qu’une centaine de réfugiés syriens avaient enfilés, pour l’événement organisé dans un hôtel montréalais, se trouvaient autant d’histoires d’entreprises disparues sous les bombes et de vies meurtries par la guerre.
Pourtant, personne n’était là pour regarder en arrière. La centaine de réfugiés qui s’étaient déplacés pour rencontrer des entrepreneurs québécois cherchaient plutôt à assurer leur avenir, et celui de leurs enfants, en décrochant un emploi à la hauteur de leur grand rêve canadien.
L’importance du français
« Vous devez continuer d’apprendre le français. Ce n’est pas difficile ! » a lancé une recruteuse à Thaer Al Hatem, un Syrien installé au pays depuis cinq mois.
C’est vrai, apprendre le français peut paraître facile, quand on a déjà traversé des continents parce que des conflits sanglants nous ont obligés à le faire. Mais la langue demande tout de même des efforts à temps plein, ont rappelé les réfugiés. « De 8 h à 15 h 30 », a avancé, dans un français hésitant, Basil Kassis. L’ancien résidant d’Alep, arrivé à Montréal pour Noël, a ainsi résumé l’horaire de ses cours de francisation, qui ont lieu du lundi au vendredi.
« Il faut qu’il apprenne la langue au plus vite », a encore insisté son amie Silvanna Khanji. La femme, qui s’est présentée comme une « ancienne nouvelle réfugiée », en sait quelque chose. Depuis son retour de Syrie, en septembre, elle a recommencé un processus qu’elle connaît trop bien. « La recherche d’emploi, je l’ai vécue et je la vis encore », a-t-elle laissé tomber.
Accueillie à Montréal une première fois en 1990, elle a dû regagner son pays d’origine pour des raisons familiales, douze ans plus tard. Elle y a passé 13 ans, jusqu’à ce que la guerre la ramène ici, il y a cinq mois. « C’est difficile », admet-elle dans un français québécois qui n’a pas pris une ride. « Mais on fonce de nouveau. D’avoir vécu la guerre et ses difficultés, ça nous aide à foncer », croit-elle.
Ailleurs dans la pièce où étaient réunies 65 entreprises montréalaises, Toufic Srabian faisait justement cela, foncer. D’une main, il tenait son téléphone. De l’autre, un sac contenant plusieurs copies de son curriculum vitae. « Je veux encore rencontrer toutes ces personnes », a-t-il lancé (en français) en baissant les yeux sur la liste d’employeurs qu’il avait enregistrée dans son cellulaire.
Depuis trois mois, ce graphiste, aussi ingénieur mécanique, cherche à rendre son expérience canadienne plus complète. « Tout est bien maintenant. C’est un joli pays, mais le grand problème, c’est de trouver un emploi », a-t-il souligné. Quand il a quitté Alep avec sa femme et ses deux filles, il y a deux ans, Toufic Srabian a laissé son entreprise derrière lui. Il a tout perdu dans la guerre, sauf l’envie de tout recommencer. « J’aimerais avoir mon entreprise de graphisme », a-t-il affirmé quand on lui a demandé de rêver.
Mettre sur pied une activité de réseautage « faisait partie des engagements qui venaient avec la décision d’accueillir des réfugiés », a rappelé le président de la CCMM, Michel Leblanc. Il espère pouvoir répéter l’expérience à l’automne. « Nous ferons aussi un suivi, pour savoir qui a trouvé un emploi, pour savoir si les réfugiés avaient été bien informés », a-t-il avancé.
Rumeurs positives
À vue d’oeil, l’expérience semblait aller bon train. Entre les poignées de main, une rumeur voulait qu’un employé ait reçu une offre d’emploi. Aussi, une recruteuse se félicitait d’avoir trouvé « deux bonnes candidatures » après avoir rencontré dix postulants. « C’est un geste d’ouverture : il faut les intégrer à la société pour qu’ils puissent y participer à part entière », a souligné Luc Thibert, de Desjardins. Son collègue, Nouhad Adra, a renchéri : « Ce sont des gens respectueux, plusieurs ont beaucoup d’années d’études, et ils font de grands efforts pour apprendre le français. » « L’humour est international », a aussi souligné Paul Nellis, directeur des ressources humaines chez Juste pour rire.
Autour des recruteurs, les échanges tendaient à prouver leurs dires. Plusieurs réfugiés souriaient, mettaient en évidence les diverses expériences de travail qu’ils ont accumulées. Une poignée de main à la fois, peut-être tentaient-ils de démontrer aux employeurs que leurs porte-noms n’offraient, à propos d’eux, qu’un bien trop bref résumé.