Une commémoration sans histoire?

Des historiens sonnent l’alarme face à l’absence apparente de dimension historique dans les activités des fêtes du 375e de Montréal. Alors que des dizaines de projets proposés par des institutions réputées ont été rejetés, le comité organisateur se défend de négliger ce volet… et cela, même s’il reconnaît ne pas même avoir de conseiller historique.
Pas de place pour l’histoire aux fêtes du 375e ? Plusieurs historiens se disent inquiets et constatent le manque d’intérêt apparent de l’organisation à cet égard.
« C’est une fin de non-recevoir partout pour l’histoire aux fêtes du 375e », dit Jean-Charles Déziel, président de la Société historique de Montréal, la plus ancienne du genre au Canada. « On a tenté en vain devoir un projet accepté par la Société du 375e. Mais tout ce qui concerne l’histoire, c’est comme si c’était irrecevable. » Ils sont nombreux à faire le même constat.
André Delisle, conservateur du château Ramezay, le musée qui jouxte l’hôtel de ville de Montréal, a présenté des projets avec le Regroupement des musées d’histoire de Montréal, une fédération de quinze institutions muséales dont il est le président. Tout a été refusé.
Frédéric Bastien, président de l’Association des professeures et des professeurs d’histoire des collèges du Québec (APHCQ), s’étonne de constater le peu de place qui est fait à l’histoire de Montréal au coeur des discours censés la célébrer. « C’est à se demander si un historien travaille pour eux. Pour ma part, si c’est le cas, je n’en connais aucun. […] Nous sommes plusieurs historiens à nous demander ce qui se passe là. »
Isabelle Pelletier, la directrice des communications pour les fêtes, le confirme : l’organisme n’a pas de conseiller historique attitré, « mais travaille beaucoup avec “Montréal en histoire” », une application en ligne.
Inquiétudes et refus
« On est déçus de ce qu’on voit », affirme le président de l’APHCQ. « L’aspect commémoratif est complètement évacué. On craint que ce ne soit qu’un party dont il ne restera rien. »
La Société historique de Montréal avait notamment proposé d’installer une statue de Maisonneuve et de Jeanne Mance dans les niches de la façade de l’hôtel de ville. Le projet a été refusé.
La Fondation Lionel-Groulx a proposé d’installer des plaques explicatives interactives près des stations de métro. Qui étaient Cadillac, Crémazie, Radisson ? Un « projet refusé sans explication », dit Pierre Graveline, président de la Fondation.
L’Atelier d’histoire d’Hochelaga-Maisonneuve a aussi été mis de côté. « On nous avait pourtant sollicités », explique son directeur, Réjean Charbonneau. « On en est venus à la conclusion qu’on n’est pas assez festifs, pas assez dans la philosophie du groupe Rozon. »
En entrevue, Christian Bergeron, le président de la Société de généalogie canadienne-française, se dit déçu : « Ça a l’air très “bling bling”, leur vision. Mais ceux qui sont vraiment sur le terrain n’ont pas d’attention. » Denis Boucher, du Conseil du patrimoine religieux du Québec, affirme que son organisme a été consulté pour l’éclairage de bâtiments, mais qu’aucune suite en lien avec l’histoire n’a été donnée. « Ça sonne célébration seulement. »
La Société du 375e estime avoir reçu environ 700 projets.
Les fêtes précédentes
En 1992, pour les célébrations du 350e de Montréal, « il y avait […] un véritable volet historique », dit Frédéric Bastien. Au fait de plusieurs propositions refusées cette année, l’historien observe qu’« elles n’étaient pourtant pas très coûteuses », tout en ayant le mérite de laisser des traces pour demain.
Le dramaturge et historien Jean-Claude Germain est un de ceux qui ont activement participé aux fêtes de 1992. « Quand on célèbre un tel anniversaire, il est inévitable de devoir en revenir aux origines. » Ce qui ne lui apparaît pas au programme aujourd’hui. « Pour le 375e,on nage dans l’idée qu’on est tous immigrants ou quelque chose du genre. En revenir aux origines de Montréal, c’est comprendre qu’à cause de sa géographie, Montréal est dès le départ une ville internationale. Les nations amérindiennes se rencontrent ici. […] On aurait pu penser aussi à célébrer Charles Lemoyne. C’est lui qui maîtrise les langues amérindiennes, qui aide à faire de Montréal ce carrefour unique. »
Président du Bulletin d’histoire politique, l’historien Robert Comeau se dit lui aussi inquiet. Selon lui, les responsables de l’événement se montrent beaucoup moins intéressés par l’histoire que par la valorisation d’événements à caractère festif qui ne s’attardent qu’« à la célébration d’un monde consensuel et multiculturel » liée à une déification du présent.
L’ADN de Montréal
Devant les membres de la Chambre de commerce réunis pour l’entendre, Gilbert Rozon, le commissaire des fêtes, n’a guère parlé d’une vision historique. Pour lui, « l’ADN de Montréal, c’est la fête, c’est la joie de vivre », a-t-il répété à plusieurs reprises.
Selon la directrice des communications de l’événement, « il y a des composantes historiques qui ont été annoncées », mais d’autres annonces restent à venir. Au nombre des « projets historiques à ce jour », l’organisme évoque un livre à paraître, une pièce de théâtre consacrée à Camillien Houde et une série télé. Mme Pelletier affirme que plusieurs projets de quartier « sont à saveur historique ».
En entrevue, elle affirme que « les gens n’ont pas à s’inquiéter ». Parmi les annonces à venir en lien avec l’histoire, dit-elle, un espace interactif Web dont les détails seront annoncés bientôt.