La conservation est aussi affaire d’éducation

Photo: Annik MH de Carufel Le Devoir Lors de la construction de l’Université du Québec à Montréal, on a rasé l’église Saint-Jacques pour n’en conserver que le clocher, aujourd’hui en piètre état.

Entre le début des années 1960 et le milieu des années 1970, on a détruit environ 28 000 bâtiments à Montréal. Autant de bâtiments, ou presque, ont été détruits depuis. C’est dire que, dans le dernier demi-siècle, Montréal a rasé l’équivalent de ce qu’elle était en terme de taille aux environs de 1850 !

« La quantité infime de bâtiments qui ont obtenu une reconnaissance publique, un classement, explique pourquoi il est facile de détruire autant ici », affirme Dinu Bumbaru, directeur des politiques d’Héritage Montréal. Dans un pays comme l’Allemagne, pourtant largement détruit par la guerre, on en a classé pratiquement un million.

« Cela étant, le classement est une approche. Mais ce n’est pas la seule solution. On voit qu’il existe aujourd’hui des bâtiments cités dont la citation est abrogée par les municipalités, comme l’église de Notre-Dame-de-Fatima au Saguenay. » Et la citation n’évite pas forcément la destruction. « Il y a des bâtiments classés qui ne sont pas pour autant entretenus correctement, comme la maison de René Lévesque à New Carlisle. »

Il faut entendre plus souvent débattre de l’importance de l’architecture
sur la place publique

 

Un plan

La société a besoin d’un vrai plan de gestion du territoire, estime pour sa part la directrice d’Action patrimoine, Émilie Vézina-Doré. Un groupe de spécialistes, l’Alliance Ariane, réclame d’ailleurs une politique d’aménagement du territoire et de l’urbanisme. « Il y a un manque de vision, et surtout il y a un besoin pour un plan d’actions concrètes. Les rôles doivent être vraiment mieux définis », estime-t-elle.

L’architecte et professeur à l’UQAM Philippe Lupien considère que la société québécoise n’a pas encore compris que le patrimoine ne consiste pas à accumuler une suite de vieilleries maintenues plus ou moins sous respiration artificielle. « Il faut comprendre l’importance de la récupération physique et symbolique des lieux. »

Les autorités publiques, croit-il, devraient être obligées de consulter des personnes formées en ce sens. « Il faut s’ouvrir à la connaissance. Il y a des gens, chaque année, qui sont formés pour ça. On pourrait aussi penser à revoir les concours d’architecture. Ils pourraient être beaucoup plus utilisés, sous des formes différentes. C’est une bonne façon de lancer des débats. »

La responsabilité du patrimoine n’incombe pas qu’à l’État, croit-on chez Action patrimoine. « Beaucoup de maires sous-estiment l’importance des bâtiments et ne sont même pas au courant des mécanismes existants pour les protéger », explique Mme Vézina-Doré.

« Et on ne peut pas s’en remettre seulement au gouvernement du Québec. Si le Québec ne classe pas un bâtiment, beaucoup de maires se disent qu’on peut faire ce qu’on veut. Il y a un système fiscal qui favorise la démolition. »

De l’argent

La directrice d’Action patrimoine en a assez d’entendre l’argument selon lequel les citoyens doivent se mobiliser pour sauver les bâtiments. « Ce n’est pas un bon argument de dire que, parce que les citoyens ne se mobilisent pas suffisamment pour certains bâtiments, il faut y voir un feu vert pour les démolir. Il faut faire des recherches ingénieuses pour trouver de nouvelles vocations aux lieux. » Ce qui demande forcément du temps et des efforts.

Pour toutes sortes de raisons, notamment écologiques, il faut qu’on cesse de démolir autant, pense Philippe Lupien. « On démolit beaucoup, confirme Émilie Vézina-Doré, parce qu’on ne s’occupe pas de l’entretien. Les fonds manquent. Mais, à terme, cela augmente les coûts. »

Une ouverture

 

Le problème, c’est que la notion de récupération physique et symbolique des lieux plutôt que leur muséification ne semble pas bien comprise de la part des élus, croit l’architecte Philippe Lupien. « Il faut entendre plus souvent débattre de l’importance de l’architecture sur la place publique. »

« Pour le patrimoine au Québec, on est en mode réaction, en mode pompier ! Les usages changent. Il faut être capables de faire le lien entre les besoins présents et les bâtiments existants. » L’information doit aussi circuler davantage, croit Émilie Vézina Doré. « Personne ne se parle ! »

La directrice d’Action patrimoine espère surtout une politique mieux définie. Elle réclame d’ailleurs à cette fin une rencontre entre les principaux acteurs du monde du patrimoine et Luc Fortin, le nouveau ministre de la Culture et des Communications.

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