Cure de rajeunissement pour le «ventre de Paris»

En montant les escaliers mécaniques, on voit d’abord le ciel, puis l’église Saint-Eustache au nord. Puis, en se retournant, on distingue au-dessus des toits les grandes tubulures colorées du Centre Georges-Pompidou. Il aura fallu cinq ans pour transformer ce qui n’était qu’un centre commercial sous-terrain informe, d’ailleurs fort justement surnommé le « trou » des Halles, en une grande place publique ouverte sur la ville. Une grande esplanade protégée où, par étapes successives, on s’engouffre dans « le ventre de Paris ».
Les Parisiens découvraient ce mardi le vaste voile ondoyant, composé de 18 000 écailles de verre semi-ouvertes, qui recouvre dorénavant le Forum des Halles sur plus d’un hectare. Inaugurée en grande pompe par la mairesse de Paris, Anne Hidalgo, et son prédécesseur, Bertrand Delanoë, cette architecture lumineuse veut surtout faire oublier la plaie béante que les Halles étaient devenues depuis 40 ans.
Le coeur de la rive droite ne s’était en effet jamais remis de la destruction sauvage, en 1971 et 1973, des magnifiques halles de Baltard après le déménagement du marché des Halles à Rungis. Pendant près d’une décennie, les Parisiens contemplèrent un gigantesque trou. C’est alors que le maire de Paris, Jacques Chirac, imposa tout aussi brutalement une architecture de pacotille dessinée par Jean Willerval. De pauvres pavillons de foire en forme de parapluies surmontaient un banal centre commercial dans lequel on s’engouffrait par un étroit tunnel évoquant Germinal plus que la Ville Lumière. Quant au jardin barricadé à proximité, il attirait surtout les clochards. L’inauguration 33 ans plus tard de cette soyeuse canopée de verre réalisée par les architectes Patrick Berger et Jacques Anziutti apparaît donc d’abord comme une revanche sur l’histoire.
Ouvrir l’espace
« On a voulu ouvrir un espace qui était clos, dit le conseiller municipal Jacques Baudrier, délégué à l’architecture et aux grands projets de renouvellement urbain de la ville de Paris. On a voulu ouvrir cet espace sur l’église Saint-Eustache, les immeubles environnants et sur un jardin de quatre hectares et demi. » Les architectes n’ont pas hésité à déplacer l’entrée principale de la porte Lescot, située à l’est, au jardin qui contemple le très beau bâtiment circulaire de la bourse de commerce, à l’ouest. Du jardin, on descend donc par une série d’escaliers monumentaux surplombés par une fontaine en forme de chute d’eau vers ce qui ressemble enfin à un forum.
Il faut savoir que les Halles représentent la première porte de Paris. 750 000 personnes venues de toute l’Île-de-France s’y engouffrent chaque jour. Vingt-huit mètres plus bas se trouvent aussi la plus grande gare intermodale d’Europe et un centre commercial sur trois niveaux qui compte 150 boutiques, deux cinémas, une piscine et de nombreux équipements culturels.
Au lieu de s’engouffrer dans un tunnel sinistre, le passant peut dorénavant flâner sous la verrière en contemplant l’une des plus belles églises de Paris. Les reflets jaunes du vitrage, qui en inquiétaient plusieurs, ne jurent pas trop avec le beige des façades haussmanniennes. De chaque côté de l’esplanade, on a tenté d’attirer des commerces prestigieux. Dans ces bâtiments vitrés qui ondoient, on trouve donc les incontournables boutiques Sephora et Lego. Mais aussi deux brasseries, dont l’une est dirigée par le chef Alain Ducasse et l’autre a été dessinée par Philippe Starck. On y a aussi relogé la bibliothèque publique et le conservatoire de musique du centre de Paris. Sans oublier un nouveau « centre hip-hop » — comme si l’agitation manquait dans le quartier. Sous terre, le cinéma UGC comptera dorénavant 27 écrans, ce qui lui permettra de prétendre au titre de plus grand cinéma d’Europe.
Un chantier gigantesque
Ce chantier longtemps décrié par les habitants du quartier aura duré cinq ans et coûté deux fois plus cher que prévu (918 millions d’euros). Mais parions que personne ne s’en plaindra, tant les Halles étaient un lieu détesté des Parisiens. Le défi consista à ériger les bâtiments de surface et la toile de verre sans interrompre ni le centre commercial ni les liaisons de métro. Ce chantier est d’ailleurs loin d’être terminé, puisque la réfection des gares de métro et de trains de banlieue (RER) ainsi que l’aménagement du jardin se poursuivront jusqu’en 2018.
L’opération vise évidemment à redonner un peu de prestige à un centre commercial qui, comme cela arrive souvent, vieillissait mal. Le nombre de boutiques est passé de 115 à 150. Pour aménager un supermarché Monoprix, on a récupéré d’anciennes installations de voirie désaffectées. Les propriétaires attendent 40 millions de visiteurs par an.
Faite de verre et de presque autant d’acier (7000 tonnes) que la tour Eiffel, la nouvelle structure a au moins le mérite de ne pas jurer dans l’architecture parisienne. Certes, comme le déploraient des citoyens du quartier, on ne verra plus l’église Saint-Eustache depuis la place des Innocents. Mais, on la verra dorénavant du plus profond du trou des Halles. Le temps dira si les Parisiens adopteront cette nouvelle canopée aux lignes séduisantes.