Une production nationale étouffée par la dématérialisation

Photo: Anouk Lessard Funfilm Une scène du film «Chorus» de François Delisle, avec Geneviève Bujold

Peut-on vraiment parler de culture équitable lorsque les créateurs récoltent moins que les producteurs, les distributeurs et autres intermédiaires ? En télévision comme en cinéma, il est plus que temps d’ajuster les modèles d’affaires en fonction des technologies d’aujourd’hui, qui, en démultipliant les offres, fragilisent les productions locales.

En quelques clics, moyennant les frais d’abonnement à une quelconque plateforme, les cinéphiles et les téléphages ont accès à un nombre infini de productions d’ici et d’ailleurs. Selon une étude publiée dans Optique culture en mai 2012, la part des produits culturels dans les dépenses culturelles totales des foyers québécois aurait chuté de 57 % à 39 % entre 1997 et 2009. Pour la même période, les services Internet ont vu leur part augmenter de 965 %.

Les Québécois dépensent donc davantage pour l’accès au contenu que pour le contenu lui-même. Consomment-ils pour autant de façon responsable ? Et les artistes, au final, y trouvent-ils leur compte ?

Un enjeu planétaire

 

« Avec la multiplication des plateformes numériques, la consommation responsable est un enjeu planétaire, avance Monique Simard, présidente de la SODEC. Depuis qu’il y a des sites d’abonnement plus ou moins abordables, il y a moins de piratage. En fait, ce qui est lourd de conséquences, c’est que le cinéma et la télévision sont complètement dématérialisés. Dans les années 1960 et 1970, on a mis énormément d’importance à réussir dans la création d’une cinématographie nationale. Depuis la venue du numérique, on n’est plus de taille et il faut vraiment qu’on investisse dans l’exploitation du produit afin que les Québécois sachent qu’il existe des produits québécois de valeur tout à fait comparable. »

Lorsque les Québécois consomment des produits culturels de chez nous, ce sont parfois les intermédiaires qui récoltent plus que les créateurs. « Les redevances sont directement perçues à même les recettes. Plus le public est présent, plus les redevances pour le créateur sont importantes, idem pour nous, les distributeurs. Si le film rapporte peu, nous devons d’abord nous repayer et ensuite repayer les créateurs et les producteurs. Dans le système de redevances, les DVD et VSD sont plus payants pour les distributeurs que pour les créateurs », explique Philippe Belzile, directeur de la programmation et de l’édition DVD-VSD chez K-Films Amérique.

« Le problème est toujours le même : les plateformes comme Netflix et les fournisseurs d’accès Internet ne contribuent pas à la production du contenu culturel, alors que ce sont souvent les intermédiaires qui vont faire le plus d’argent, confirme Hélène Messier, p.-d.g. de l’Association québécoise de production médiatique. Dans la foulée du rapport sur la fiscalité de Luc Godbout, l’AQPM a commandé une étude sur les fournisseurs d’accès Internet. Parmi les propositions formulées au gouvernement du Québec et au fédéral, il y a celle permettant de récolter la TPS et la TVQ sur les abonnements à Netflix et sur ce qu’on commande sur Amazon. Cela augmenterait les sommes disponibles pour financer le contenu. »

Des consultations

 

En octobre dernier, la ministre du Patrimoine, Mélanie Joly, promettait de lancer des consultations sur l’économie numérique. Or, il serait grand temps d’agir puisque les lois, modèles d’affaires et programmes publics ne sont plus en phase avec la réalité.

« À ce jour, personne n’a d’autorité sur le Web, et ça, c’est le coeur de l’affaire. Nos lois sont antérieures à l’existence du numérique. Une fois que ces lois seront revues, un ensemble de réglementations sera établi. À mon avis, s’il y a quelque chose qui ne changera pas, c’est que la culture sera de plus en plus consommée en ligne », conclut Monique Simard.

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