Pour ne pas oublier les pionnières de Montréal

Ce texte fait partie du cahier spécial Religion
Les communautés religieuses de soeurs ont été au coeur de la vie des Montréalais pendant trois siècles. Elles se sont occupées de l’éducation, de la santé et ont instauré l’aide sociale avant que l’État québécois ne s’en charge. Avec les préparatifs du 375e de la ville, des voix s’élèvent pour que ce patrimoine soit davantage mis en valeur.
À l’approche du 375e anniversaire de la ville, l’ancienne députée péquiste, Louise Harel, craint que le patrimoine religieux ne soit oublié. « Le projet de bâtir Montréal a d’abord été un projet mystique, soutient-elle. L’occulter serait du révisionnisme. » Un regret pour celle qui considère que peu de femmes ont autant contribué au développement d’une ville que celles qui bâtirent Montréal. « Les oublier, c’est oublier le fondement et la fierté de ce que nous fûmes », prévient-elle.
Administratrices, soignantes et éducatrices, ce sont des femmes laïques, « intrépides et insoumises », selon Mme Harel, qui ont façonné le visage de la métropole. « C’est désolant qu’on garde de ces femmes une image figée, estime-t-elle. On les a mises dans un écrin, certainement de velours, mais qui les fait ressembler, pardonnez l’expression, à des saintes nitouches, alors qu’elles étaient d’abord des femmes entreprenantes. »
« Le Québec souffre d’une sorte de distance par rapport à son histoire religieuse », estime pour sa part le professeur à l’UQAM et spécialiste de l’histoire religieuse québécoise, Louis Rousseau. Pourtant, Montréal n’existerait pas sans les communautés religieuses de femmes, selon lui. « Les grandes institutions ont d’abord été bâties grâce à la générosité de religieuses qui mangeaient trois fois rien pour construire ce patrimoine », considère-t-il. Dès sa fondation en 1642, Montréal, alors appelée Ville-Marie, voit des groupes de femmes se former pour répondre aux besoins de la population.
Développer une expertise médicale
La cofondatrice de Montréal, Jeanne Mance, fait construire le premier hôpital de la Nouvelle-France, l’Hôtel-Dieu, qui accueille nouveaux arrivants et autochtones. Les Religieuses hospitalières de Saint-Joseph bâtissent le réseau hospitalier dont le Québec héritera en 1960 et affrontent les épidémies de choléra qui frappent périodiquement la ville. Les soeurs soigneront aussi les premiers immigrants irlandais atteints du typhus qui fuient la grande famine du XIXe siècle. « Les religieuses montréalaises étaient tellement reconnues dans la gestion des hôpitaux qu’on en faisait venir au Canada anglais », note l’auteur Claude Gravel, qui s’intéresse à ces communautés. Lors de la nationalisation des hôpitaux durant la Révolution tranquille, les soeurs transmettront leur savoir-faire aux nouveaux gestionnaires laïcs.
Jeanne Mance confia également les 22 000 livres qu’elle avait reçues d’une riche dévote pour bâtir son hôpital au cofondateur de Montréal, Paul de Chomedey de Maisonneuve, ce qui permit à la colonie de perdurer. « Il ira recruter les 102 colons sans lesquels nous n’existerions pas aujourd’hui », assure Mme Harel.
Éducation et aide sociale
La Congrégation de Notre-Dame, créée par la « mère de la colonie », Marguerite Bourgeoys, assumera pratiquement seule l’instruction des filles jusqu’au XIXe siècle et l’arrivée de la Congrégation des Soeurs des Saints Noms de Jésus et de Marie, qui apporte sa pierre à l’édifice. Tandis qu’en France, le latin est privilégié, les soeurs enseignent en français. La langue permet d’unifier les habitants aux divers patois vivant à Montréal. Au début du XXe siècle, la Congrégation de Notre-Dame fonde le premier collège classique féminin. Il faudra toutefois attendre 1952 pour que l’État finance l’enseignement postsecondaire des filles, jusque-là à la charge des familles et des communautés enseignantes.
La population de Montréal s’est aussi agrandie, amenant son lot de pauvres et d’orphelins. Une riche veuve québécoise, Marguerite d’Youville, réunit quelques femmes pour les aider. Les Soeurs grises (ou Soeurs de la Charité) amorcent leurs activités et ouvrent des crèches. Alors que la ville devient la plaque tournante du développement économique du Canada, l’urbanisation s’intensifie, créant de nouveaux besoins. « Les institutions présentes vont rapidement bourgeonner », dit M. Rousseau. Les Soeurs de la Providence, fondées par Émilie Tavernier Gamelin, vont s’occuper des infirmes et des pauvres. Elles ouvriront l’Hôpital Saint-Jean-de-Dieu, devenu l’Institut universitaire en santé mentale, anciennement Hôpital Louis-H Lafontaine, pour venir en aide aux malades mentaux. Les Soeurs du Bon Pasteur arrivent d’Angers, en France, et recueillent les prostituées souhaitant se reconvertir. « Certaines de ces filles de joie repenties deviennent ensuite religieuses », explique-t-il.
Les Soeurs de la Miséricorde aident les filles-mères, affrontant les préjugés populaires de l’époque. « Ces fondatrices ont traversé toutes les barrières qui se dressaient devant les jeunes femmes de leur époque : ecclésiastiques, familiales et sociales », rappelle Mme Harel. Elles incarnent déjà la Québécoise moderne, éduquée et courageuse, selon elle.
Un patrimoine oublié
La réalisation de la promenade urbaine « Fleuve-Montagne », reliant les lieux emblématiques de la ville depuis la Pointe-à-Callière jusqu’au mont Royal comme legs du 375e, a laissé Louise Harel perplexe. « Je me suis rendu compte qu’il n’y avait pratiquement aucune mention de l’histoire sur le parcours, déplore-t-elle. Cela fait partie de notre patrimoine de manière intime. Comment peut-on à ce point se distancier de nos racines ? »
Avec les représentantes du musée des Hospitalières et du musée Marguerite-Bourgeoys, elle a proposé sa collaboration à la direction responsable du projet, en mai dernier. « Je n’ai jamais eu d’accusé de réception à mon courriel », regrette-t-elle. M. Gravel pense aussi que c’est l’occasion idéale de rappeler le rôle tenu par ces pionnières, dont l’héritage perdure grâce à quelques femmes âgées : « Discrètes, elles viennent en aide à ceux qui échappent au système social. »
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