Des centaines de Québécois ont enfin la bonne identité sexuelle

Les changements législatifs permettent un changement d'identité sexuelle sans opération.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Les changements législatifs permettent un changement d'identité sexuelle sans opération.

Les demandes de changement de sexe auprès du gouvernement du Québec ont bondi au cours des cinq derniers mois. Le Directeur de l’état civil a reçu pas moins de 253 demandes entre le 1er octobre et le 31 décembre 2015. Il a traité davantage de requêtes durant ces trois mois que dans les trois années précédentes.

Depuis le 1er octobre, une personne trans peut réclamer des documents officiels reflétant sa véritable identité de genre sans avoir préalablement subi une chirurgie de réattribution sexuelle ni même avoir obtenu une lettre de recommandation d’un professionnel de la santé. Elle doit toutefois joindre à sa demande une déclaration sous serment d’une personne majeure la connaissant depuis plus d’un an qui reconnaît le sérieux de sa démarche.

Les nouvelles règles ont été saluées par la communauté LGBT (lesbiennes, gais, bisexuels et transgenres). « C’est beaucoup », souligne la fondatrice de l’Aide aux trans du Québec (ATQ), Marie-Marcelle Godbout, qui a été de toutes les luttes de la communauté trans québécoise. Une carte d’identité avec le crochet dans la bonne case — F ou M —, « c’est le plus beau diplôme que tu peux recevoir dans ta vie », ajoute-t-elle.

Entre le 1er avril 2010 et le 31 mars 2015, le Directeur de l’état civil avait traité à peine 291 demandes de changement de la mention du sexe, soit 21 en 2010-2011, 49 en 2011-2012, 56 en 2012-2013, 76 en 2013-2014 et 92 en 2014-2015. Plusieurs personnes attendaient patiemment l’entrée en vigueur des modifications au Règlement relatif au changement de nom et d’autres qualités de l’état civil, le 1er octobre dernier, afin de déposer leur formulaire de « Demande de changement de la mention du sexe figurant à l’acte de naissance » au Directeur de l’état civil.

Une amie septuagénaire de Marie-Marcelle Godbout faisait partie du lot. Elle vivait depuis plus de 50 ans sous les traits d’une femme sans pour autant avoir subi d’interventions chirurgicales. « Elle a dû vivre toute sa vie avec des papiers contraires à [son] identité », se désole Mme Godbout, qualifiant sa camarade de « sans papiers ». « Il y a des places où tu ne peux pas avoir de faux papiers, comme des hôpitaux, où on va crier les noms [des patients]. “Joseph Beaulieu !” La personne est obligée de se lever devant tous les autres patients. Joseph Beaulieu a l’air d’une catin. C’est un peu dur moralement », souligne-t-elle dans une entrevue téléphonique avec Le Devoir.

Des trans étaient « condamnés à vivre dans une mascotte toute [leur] vie ». Certains ont été traités comme « moins que des zéros » ou encore ont été « persécutés ». Les trans qui optaient pour une chirurgie de réattribution sexuelle « voulaient tellement devenir quelque chose qui pouvait vivre parmi tout le monde ». Elle fut l’un d’eux. « On s’en allait vers la liberté totale. On sortait de l’hôpital pleins de rêves. [Mais, certains] arrivaient devant une réalité tellement cruelle : rejet de leur famille, rejet de leurs amis, pas de travail », relate Mme Godbout.

« Maintenant, c’est beaucoup plus facile de vivre. La société a évolué, se réjouit l’ex-magicienne, qui est mariée depuis 43 ans, a un fils de 40 ans et deux petits-enfants de 12 et 13 ans. J’ai eu la chance de ne pas faire briser mes rêves. »

Les mineurs

 

La bénévole à l’ATQ Marie-Marcelle Godbout invite aujourd’hui le gouvernement libéral à étendre la portée du règlement aux personnes mineures. « Je le savais, à cinq ans, que je n’étais pas un petit gars. Moi, dans le plus profond de mon être, j’ai toujours été une fille… qui a été étouffée dans le fond », insiste-t-elle à l’autre bout de fil.

Aujourd’hui, « 73 % des jeunes trans au Québec vivent dans la détresse psychologique — ça n’aide pas à la persévérance scolaire, ça — 53 % ont une faible estime d’eux-mêmes et 70 % affirment être victimes de violence », a indiqué l’élue solidaire Manon Massé la semaine dernière à l’Assemblée nationale, tout en brandissant un article de la revue Santé mentale au Québec. En mai 2015, la Commission des institutions a appelé le gouvernement libéral « à entreprendre dès maintenant des actions afin de faciliter la vie de ces enfants », a aussi rappelé la députée de Sainte-Marie–Saint-Jacques.

La ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, s’est engagée à faire connaître « des pistes de solution rapidement ». « Il s’agit là de modifications importantes à apporter à notre droit, à notre Code civil. Nous travaillons ce dossier-là avec toute la rigueur qui est nécessaire. […] Les équipes sont déjà à pied d’oeuvre dans le dossier », a-t-elle déclaré en Chambre.

Manon Massé s’est aussi dite favorable à l’idée d’ajouter une case « autre » sur les formulaires de l’état civil, en plus des cases « masculin » et « féminin ». « Y a-t-il un besoin de toujours se genrer ? » demandait-elle dans un entretien avec Le Devoir.

Mme Godbout n’est pas de cet avis. « On se bat pour sortir d’un tiroir, ne nous mettez pas dans un autre. Le F et le M sur les papiers, ça fait longtemps qu’on dit que ça ne devrait pas exister. »

 

Mauvaise identité

Depuis décembre 2013, une personne majeure dont l’identité sexuelle ne correspond pas à la mention de sexe figurant à son acte de naissance peut en théorie en obtenir la modification, auprès du Directeur de l’état civil, sans préalablement subir un traitement médical ou une intervention chirurgicale. Le règlement qui a permis à la loi de s’appliquer est en vigueur depuis octobre 2015.


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