Stéfanie Trudeau, policière hors-la-loi

La policière Stéfanie Trudeau, alias « matricule 728 », a été reconnue coupable de voies de fait en lien avec l’arrestation musclée qu’elle a effectuée en octobre 2012 dans un appartement du Plateau-Mont-Royal. Non seulement le juge Daniel Bédard a-t-il a rejeté la version des faits de la policière, mais il a également mis en doute les affirmations des policiers venus témoigner au procès.
Dans son verdict rendu jeudi, le juge Bédard a estimé que l’arrestation de Serge Lavoie était illégale, car la policière n’avait pas de motif raisonnable pour l’effectuer. Le juge a souligné que Stéfanie Trudeau a eu recours à une « force excessive et démesurée » lors de cette opération qualifiée de « brutale » et « motivée par la rage ».
Le juge Bédard a accordé plus de crédibilité aux témoignages de Serge Lavoie, Simon Pagé et Rudi Ochietti, concernés par cette affaire, qu’à celui de l’accusée.
Rappelons que le soir du 2 octobre 2012, la policière du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) Stéfanie Trudeau, accompagnée de son partenaire de patrouille, Kevin Henry, a interpellé Rudi Ochietti, qu’elle avait aperçu tenant une bière à la main sur le trottoir devant le 4381, rue Papineau. Le peintre de 49 ans refuse d’établir son identité quand la policière le lui demande, ce qui amène celle-ci à considérer qu’il s’agit d’une entrave. Les policiers le plaquent alors au sol pour lui passer les menottes. L’opération, qui aurait pu se conclure avec un simple avertissement, a rapidement dégénéré. Le juge Bédard estime que la policière a eu une réaction intempestive et soudaine et que l’interpellation a été « dépourvue de tout civisme ».
Ce que cette décision met en évidence, c’est cette solidarité malsaine des policiers qui perdure
Serge Lavoie commence à filmer la scène en lançant des insultes à la policière. Les protagonistes entrent ensuite dans l’immeuble. « Ce n’est pas la policière qui part à la poursuite de Serge Lavoie, c’est Stéfanie Trudeau qui part corriger celui qui l’a insultée », estime le juge Bédard.
Quant aux invectives proférées par Serge Lavoie, bien qu’il s’agisse de propos vulgaires et grossiers, ils ne peuvent constituer une entrave à la justice, souligne le juge en signalant que M. Lavoie n’a pas touché la policière.
Témoignages des policiers
Lors de cette intervention musclée, la policière a eu recours à deux reprises à la technique de l’encolure pour maîtriser Serge Lavoie, qui a craint pour sa vie. La force utilisée était excessive, car M. Lavoie ne tentait pas de s’enfuir, a conclu le juge.
Lors du procès tenu l’automne dernier, l’avocat de Stéfanie Trudeau, Jean-Pierre Rancourt, avait reproché aux autorités d’avoir marchandé les accusations des victimes en échange de déclarations incriminantes contre la policière. La défense avait alors déposé une requête en arrêt de procédures, demande qui a été rejetée jeudi par le juge Bédard, qui soulignant que l’absence d’accusations relevait du pouvoir discrétionnaire de la poursuite.
Le juge a aussi remis en doute les affirmations des policiers venus témoigner en cour qui soutenaient que Serge Lavoie paraissait fortement intoxiqué le soir des événements. Or, rien dans la preuve qui lui a été présentée ne permet d’appuyer cette thèse, a indiqué le juge.
« Le juge est allé plus loin. Il a dit que même s’il en était venu à la conclusion que c’était une arrestation légale, de la manière dont [Stéfanie Trudeau] a empoigné M. Lavoie, c’était l’usage d’une force abusive. Il faut se rappeler que l’article 25 du Code criminel prévoit qu’un policier peut faire usage d’une force, mais elle doit être raisonnable », a commenté le procureur de la Couronne, Jean-Simon Larouche. Mme Trudeau est passible d’une peine maximale de six mois d’emprisonnement, a-t-il indiqué.
Stéfanie Trudeau et son avocat, Jean-Pierre Rancourt, ont quitté le palais de justice sans émettre de commentaires.
« Je suis très heureux que le juge ait pu voir à travers les mensonges des policiers qui sont venus témoigner en cour », a fait valoir Rudi Ochietti, qui se trouvait jeudi à l’extérieur de la ville. Il a souligné le travail du procureur de la Couronne, qui n’a pas pu appuyer ses accusations sur l’enquête de la police en raison d’omissions, se basant plutôt sur les preuves vidéo : « La police qui enquête sur la police, c’est la grande lacune dans cette affaire. Mais le juge n’a pas été dupe des mensonges de policiers. »
Des leçons à tirer
Les services de police et leurs agents devraient lire avec attention le jugement, croit l’avocat Alain Arsenault. « Ce que cette décision met en évidence, c’est cette solidarité malsaine des policiers qui perdure. Un policier ne dénonce pas les actions d’autres policiers. Cette loi du silence, c’est malsain. Ils l’ont laissée agir, ils n’ont pas pris leurs responsabilités et ont appuyé par ce fait une policière agressive, brutale. » Il soutient que tant le SPVM que les agents eux-mêmes ont manqué à leur devoir en n’empêchant pas les actions du matricule 728, d’autant plus que ses problèmes de comportement étaient connus de longue date.
Les citoyens peuvent toutefois se féliciter d’avoir eu le réflexe de filmer la scène : sans cela, les chances de condamner la policière auraient été bien moindres, soutient Me Arsenault. « Lorsque des policiers accusent des citoyens de voie de fait ou d’entrave, il y a toujours un préjugé favorable envers les policiers. L’arrivée des vidéos et des caméras, ça commence à changer cette réalité. Ce jugement sert de mise en garde au système de justice. Il ne faut pas juste se fier à la parole des policiers. Depuis qu’on a plus de vidéos, il y a beaucoup plus d’acquittements de citoyens pour des accusations traditionnelles. Il est à espérer que les policiers vont, eux aussi, en tirer des leçons. »
De son côté, la Fraternité des policiers de Montréal n’a pas voulu commenter le jugement.
Stéfanie Trudeau était devenue une célébrité sur YouTube après qu’elle eut poivré des manifestants lors d’un rassemblement en mai 2012, durant le printemps érable. Mais les faits qui lui étaient reprochés en lien avec l’accusation de voies de fait sont survenus quelques mois plus tard. Dans une conversation téléphonique enregistrée à son insu dans son autopatrouille, elle avait traité les personnes qu’elle venait d’arrêter d’« esti de gratteux de guitare », de carrés rouges et de « mangeux de marde ».
Stéfanie Trudeau ne travaille plus pour le SPVM. Le dossier reviendra en cour mardi prochain pour l’audience de détermination de la peine.
Avec Marie-Michèle Sioui et Philippe Orfali