Femmes et autochtones, le double stigmate

Les femmes autochtones apparaissent surreprésentées dans les prisons depuis quelques années. Et ce n’est pas qu’une impression. Entre 2002 et 2012, le ministère fédéral de la Justice indique que leur nombre a grimpé de 97 %.
Depuis 20 ans, hommes et femmes confondus, « le taux d’incarcération des autochtones a augmenté chaque année », confirme Yvan Zinger, chef de la direction et avocat général pour le Bureau de l’enquêteur correctionnel à Ottawa.
« Il est rare que nous donnions des commentaires sur les politiques publiques, mais si un seul indicateur devait être choisi pour connaître la santé des autochtones au Canada, je dirais que le taux d’incarcération donnerait une bonne idée. L’augmentation constante du nombre d’autochtones incarcérés, c’est très ancré dans la société canadienne. »
En 1996, les pénitenciers comptaient 14,6 % d’autochtones. En 2015, ils étaient 25,5 %. Les autochtones (membres des Premières Nations, Métis et Inuits confondus) ne représentent pourtant que 3,8 % de la population canadienne.
De façon générale, les minorités visibles — Noirs, autochtones, Asiatiques, Hispaniques — sont surreprésentées dans les prisons canadiennes par rapport à leur poids réel dans la population. Mais pour les autochtones, c’est infiniment pire. Au cours d’une journée, environ 3500 autochtones sont incarcérés dans des pénitenciers fédéraux. Entre 2001-2002 et 2011-2012, la population autochtone incarcérée a ainsi augmenté de 37,3 %. Pour les femmes autochtones incarcérées, la population a gonflé de 109 %.
« Pour les femmes autochtones, c’est pire encore que pour les hommes. Elles comptent pour 36,3 % de la population carcérale féminine,contre 24,9 % pour la population masculine. C’est énorme comme surreprésentation. »
Selon Yvan Zinger, « elles sont doublement pénalisées parce qu’autochtones et femmes ». En somme, les femmes autochtones sont aux prisons canadiennes du XXIe siècle ce que les immigrantes irlandaises étaient à celles du XIXe.
La consultante Michèle Audette, ancienne présidente de Femmes autochtones du Québec, a visité les femmes autochtones en prison. « J’ai fait le tour des pénitenciers pour les rencontrer. J’ai été surprise. Celles qui ont des sentences à vie, par exemple, ont souvent été victimes de violences extrêmes. Souvent, elles setrouvent prises, en ville, dans la criminalité parce qu’elles sont plus vulnérables. »
Il y a des raisons psychosociales et économiques qui expliquent pourquoi les femmes se retrouvent autant en prison. « Elles sont vulnérables à cause de la pauvreté, de la violence, de la toxicomanie. » Et les ressources manquent pour que cessent de s’accumuler les strates de malheurs qui finissent par écraser cette société, pense Michèle Audette.
« Il y a peut-être aussi une forme de racisme. Les enquêtes sont expédiées parce qu’il s’agit d’autochtones. Peut-être qu’il faut apprendre à juger en prenant mieux en compte le passé et l’histoire de ces femmes. »
On devrait aussi examiner les conditions de détention pour les autochtones, affirme Michèle Audette. En prison, ils se trouvent mis à l’écart plus facilement que d’autres.
Jeudi, la protectrice du citoyen du Québec, Raymonde Saint-Germain, dénonçait des conditions de détention proprement inhumaines pour les Inuits. Les règles élémentaires de propreté seraient notamment bafouées pour ces populations dans les prisons québécoises, selon son rapport déposé devant l’Assemblée nationale.
Le Bureau du protecteur du citoyen observe aussi que dans les prisons où elles n’ont pas de quartiers particuliers, les femmes inuites « seraient parfois victimes de discrimination et même de violence de la part des autres personnes incarcérées ».
Les femmes autochtones comptent pour 36,3 % de la population carcérale féminine, contre 24,9 % pour la population masculine