
Du caritatif politiquement plus actif

Et si « donner » avait d’autres variations, comme « engagé », « revendiquer », « politiser » ? C’est ce que souhaiterait le sociologue Jean-Marc Fontan, du laboratoire montréalais sur la philanthropie canadienne de l’UQAM, qui depuis quelques mois appelle à la libération de la parole politique des organismes de bienfaisance et autres fondations philanthropiques au pays. Une demande atypique pour des voix que les dix dernières années d’un régime conservateur ont refrénées, mais qui gagneraient, selon lui, à résonner davantage dans les débats publics, à l’intérieur de cadres un peu plus transparents et mieux définis, et ce, pour le bien de la démocratie.
« Les organismes de bienfaisance, les groupes communautaires qui récoltent des fonds privés ou publics pour mener à bien des missions sociales, environnementales ou sanitaires sont au premier plan des problèmes sociaux, lance à l’autre bout du fil le spécialiste de l’entraide et des mécanismes financiers qui l’alimentent. Ils sont sur la ligne de front, parfois en contact avec des personnes marginalisées et, par le fait même, sont capables dans notre société de porter la parole de personnes en situation difficiles », quand bien sûr cette société ne rechigne pas trop à l’écouter.
S’investir au nom de l’entraide, du vivre-ensemble et de l’avancement de tous dans les grands enjeux sociaux, chercher à combattre, ici, la pauvreté, les inégalités sociales, l’exclusion, et là, les atteintes portées à l’environnement serait de l’altruisme caritatif, oui, mais pas seulement : « c’est également un geste politique », estime le sociologue. Un geste avec lequel certains élus peineraient encore à composer, selon lui.
Censurer l’engagement
« Sous le gouvernement Harper, le travail de ces organismes, particulièrement ceux qui ne portaient pas un discours conservateur, était très mal vu, dit-il. Les groupes qui ont dénoncé les sables bitumineux ont été censurés, d’autres ont vu leur financement réduit ou coupé pour des raisons idéologiques. Un climat d’autocensure s’est installé, et aujourd’hui, l’arrivée d’un gouvernement [libéral sous le règne de Justin Trudeau à Ottawa] qui se dit plus ouvert, plus favorable au travail de la société civile, peut redonner à ces groupes et fondations la possibilité de réinvestir ce champ du politique qu’ils ont dû quitter pour survivre. »
La chose serait d’ailleurs salutaire, croit le sociologue qui estime que le bon fonctionnement d’une société passe nécessairement par une scène politique active aux voix diversifiées. « La politique n’est pas seulement réservée à une secte que l’on nomme gouvernement », dit-il.
« D’autres groupes doivent y prendre part sans crainte de représailles, et ce, en mettant clairement leur agenda politique sur la table », ce que les organismes de bienfaisance ne font pas toujours, admet-il.
« Faire de la politique implique le respect des règles dans laquelle la politique doit se faire, résume M. Fontan. Il y a des principes de démocratie, de transparence, de collaboration… à respecter. Quand on est en relation avec l’État, il faut suivre les règles de la politique, de manière à ne pas court-circuiter les mécanismes de pression, de concertation qui existe dans une société. »
Un cadre à poser
L’équation semble relever du truisme, sauf dans le monde de la philanthropie qui, dans les dernières années, s’est développé au Canada, sans profond débat public, un peu en catimini et d’une manière naturelle sur une toile où désormais la prise de parole politique ne peut pas se faire sans certains ajustements, dit le sociologue. « Il n’y a jamais eu de grand débat dans la société sur la définition de la philanthropie ou de la bienfaisance, sur les critères de sa reconnaissance, sur les conditions de la prise de parole publique de ces organismes, tout comme sur le financement de cette philanthropie », financement qui se joue dans des cadres fiscaux plutôt avantageux pour quelques grandes fortunes qui aiment investir ces champs de l’entraide et du social pour mieux éviter l’impôt.
« Il faut se demander, collectivement, si c’est ce genre d’environnement philanthropique que l’on souhaite », estime Jean-Marc Fontan en précisant : « Si l’État donne un coup de main à la philanthropie avec des abris fiscaux, cela doit également venir avec une obligation publique. Cet argent privé qui ne tombe pas dans les coffres de l’État ne devient pas public pour autant. Il devient commun, avec les obligations qui viennent avec. »
« On ne peut pas donner carte blanche à tout le monde, ajoute-t-il, mais on doit donner des cartes claires à tout le monde », à ceux qui donnent, comme à ceux qui reçoivent, à ceux qui légifèrent, comme à ceux qui cherchent à contraindre la parole politique de la bienfaisance, et ce, dans un « dialogue nécessaire entre le gouvernement, la société civile, la philanthropie », poursuit l’universitaire, comme pour mieux faire varier le verbe donner, d’un don vers un autre.
Variations sur le verbe donner
Paroles et musique par Félix LeclercIl est normal que l'arbre donne ses fruits
La moutonne sa laine
La grand-mère des nouvelles
L'amoureuse la main
Il est normal que le sel dans le sourire
L'amant dans le champ piquant donne du pain aux pigeons citadins
Un coup de pied donné et s'il est bien donné souvent est pardonné avec quelques années
Donner de l'herbe
La nature le fait
Ne rien donner
Tous les hommes le font
Je donnerai ma mise mon lit et ma chemise
Sans toi ces gens qui s'aiment à longueur de semaine
Donner son sang parfois ou si on donne sa vie ou si on donne sa maison parfois ne le dit plus
Il me donne des frissons disaient toutes les filles et moi la chair de poule
Disaient toutes les mères
Tu me donnes tu t'avances je te donne deux heures y m'donne Sophie
Va-t-en je lui donne mon avis
Moi je connais un homme
Qui n'doit rien à personne
Qui sait tout éviter qui jamais ne reçoit plus que donner ses yeux plus que donner l'espoir
Il m'a donné d'un coup vingt-deux ans de sa vie
Il m'a donné son parapluie
C'était un bout de bois avec un petit toit qui s'ouvre et qui se ferme
Par un jeu de baleine
La continuation de sa main sa raison sa canne son témoin son arbre sa défense et sa sécurité
Il se l'est amputé comme on donne son coeur
Voilà je te le donne
Je boîterai peut-être
Je perdrai l'équilibre
Si vous voulez savoir si un homme vous aime
Attendez qu'il vous donne
Son parapluie
Pour écouter la chanson
Filtré par
Daniel Le Blanc - Inscrit 16 février 2016 06 h 22
philanthropes avancez en arrière
La philanthropie est une approche à la pauvreté qui vient du capitalisme et de l'éthique protestante. En 2016, c'est le résultat du désengagement de l'État, le couronnement du néolibéralisme, la mort de l'État-Providence. Choisir individuellement à qui donner revient à dire non aux autres. Nous ne sommes pas aux États-Unis, ni au Canada anglais. La justice sociale mérite mieux.
Jacques Lamarche - Inscrit 16 février 2016 07 h 36
Les calculs de l'altruisme!
La philantropie, pour les gouvernements, est bien plus une source d'économie que l'empatie et pour remercier le mécène de tant d'épanchement, il lui fait cadeau d'un part de son investissement! Mais la philantropie vient d'un élan du coeur, d'un amour de l'autre, et elle n'a pas à calculer des retombées; elle devrait pas être payée! D'atant que ces présents du gouvernement, c'est notre argent!
Denis Paquette - Abonné 16 février 2016 08 h 08
Un bureau indépendant des pouvoirs politiques
Félicitation monsieur Deglise votre texte est très bien fait, il expose très bien les enjeux et surtout les dynamiques sous-jacentes a la philantropie, la seule difficulté que j'y vois ce sont les prises de positions des agents politiques qui on le sait, sont souvent en quête d'une gloire éphémère et souvent discutable, peut-être faudrait-il créer un bureau de la philantropie indépendant des grands pouvoirs politiques