«Salima, d’Alep à Joliette», une bédé pour raconter les réfugiés

La vie de la Syrienne Salima bascule en quelques petites cases seulement.
Photo: Francis Desharnais La vie de la Syrienne Salima bascule en quelques petites cases seulement.

La vie de la Syrienne Salima bascule en seulement trois petites cases. Trois petites cases d’une bande dessinée qui la font passer d’ingénieure et mère de trois enfants à veuve et réfugiée. Le reste de la bédé racontera son parcours à travers le Liban, où elle connaîtra les logements temporaires et les camps, jusqu’à Joliette, où elle atterrira en plein hiver. « Ça faisait longtemps qu’on voulait parler des réfugiés sous l’angle de la coopération », explique Marie Brodeur Gélinas, chargée de programmes à l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI).

« La bédé, ça permet l’évocation en peu de mots et les images font réfléchir. » L’idée de Salima, d’Alep à Joliette, cet ouvrage illustré éducatif pour sensibiliser le grand public au sort des réfugiés, lui est venue l’automne dernier. Elle a approché le bédéiste Francis Desharnais, auteur de l’ouvrage maintes fois primé Burquette (Les 400 coups) et du récent Salomé et les hommes en noir (Bayard), qui n’a pas hésité à se lancer dans le projet. « J’aime documenter un thème pour ensuite l’illustrer », note cet adepte de bédé reportage.

Un pari pour le moins risqué, le dessinateur devant scénariser et illustrer en un mois le parcours d’une réfugiée syrienne en à peine huit pages sans n’avoir jamais mis les pieds sur les lieux de l’histoire. « Pour parler de tout ce trajet entre le moment où ils fuient leur pays jusqu’à ce qu’ils arrivent au Canada, il aurait fallu normalement 70-80 pages. Il fallait aussi mettre en lumière le travail des organismes de coopération… Je n’ai pas pu élaborer. J’ai dû faire des choix. »

Francis Desharnais a toutefois pu compter sur l’appui d’un comité formé de travailleurs de l’humanitaire qui lui ont raconté leur expérience avec les réfugiés. L’histoire est donc fictive mais basée sur une foule d’anecdotes réalistes, etdocumentée par des photos prises au Liban, notamment à Tripoli et à la Bekka. « Moi, je sais à quoi ressemble un point de distribution d’eau dans un camp de réfugiés. Pour [le bédéiste], ce n’est pas nécessairement évident », souligne Jean-Baptiste Lacombe, chargé de programmes humanitaires chez Oxfam-Québec.

Distribuée gratuitement sur Internet et de plus en plus dans les librairies et les bibliothèques, la bédé, de même que des fiches informatives et un petit quiz, servira de point de départ à des groupes de discussions chez les 16 ans et plus. Déjà, les organismes membres de l’AQOCI ont animé des ateliers sur la question des réfugiés dans le cadre de la Semaine du développement international qui se termine ce samedi.

Défaire les mythes

 

Pour M. Lacombe, il est important que la bédé serve à briser les préjugés généralement associés aux réfugiés. « On veut détruire le mythe du réfugié super pauvre, sans diplôme et qui vit dans un camp de réfugiés dans une tente. En Jordanie, au Liban… la plupart des Syriens ne sont pas dans des camps, dit-il. En même temps, on ne veut pas que les gens se disent qu’ils ne sont pas si mal en point parce qu’ils ont des moyens ou un iPhone. »

Après tout, un réfugié, ça peut être n’importe qui. « Je veux qu’après avoir lu cette bédé, les gens pensent à Salima, à la difficulté qu’elle a eue à se trouver un emploi et à l’humiliation qu’elle a subie en lavant des planchers plutôt qu’en travaillant comme ingénieure. Elle est peut-être Syrienne, arabe, musulmane, mais elle a une famille, des études et veut être en sécurité », poursuit M. Lacombe, qui sillonne les zones de crises dans le monde depuis au moins cinq ans. « Je veux que les Québécois s’identifient aux Syriens et ne les voient pas comme des gens dans un contexte géopolitique ultra-compliqué associé au terrorisme. »

L’histoire de Salima connaît un dénouement particulièrement heureux lorsqu’elle arrive au Québec. Une trop belle fin, diront certains, sachant que tout n’est pas rose dans le processus d’intégration. « On a voulu exprimer l’espoir et la résilience, précise Mme Brodeur Gélinas. Dans le cadre d’une activité éducative, ça peut justement être très intéressant de dire aux jeunes que tout reste encore à faire et qu’on a tous un rôle à jouer. » L’an prochain sera l’an 2 des réfugiés, promet-elle. Et peut-être l’occasion d’un second tome à la bédé.

Vingt mille macarons vendus

Vous l’avez peut-être vu épinglé aux chemises et aux manteaux depuis quelque temps. Les macarons « Bienvenue aux réfugié.es ! » sur lesquels est dessiné un petit oiseau tenant au bec un rameau d’olivier se vendent comme des petits pains.

« On est rendu à 20 000 exemplaires ! » se réjouit Marie Brodeur Gélinas, chargée de programmes à l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI). Il y a moins de deux mois, l’illustratrice Élise Gravel publiait sur son compte Facebook l’esquisse de l’oisillon, symbole d’accueil et d’ouverture envers les nouveaux arrivants. Mme Brodeur Gélinas lui a demandé la permission de récupérer le dessin pour en faire des macarons portant initialement la mention « Bienvenue les Syriens » et vendus au coût minimum de 1 $. Les dons amassés étaient à l’origine versés à RIVO-résilience, un organisme qui offre du soutien psychologique notamment pour des réfugiés traumatisés.

Depuis, d’autres macarons souhaitant la bienvenue à tous les réfugiés ont été produits et se vendent au profit des divers organismes qui décident de les distribuer. « C’est la preuve que les citoyens ont envie de s’impliquer », se réjouit Mme Brodeur Gélinas.


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