Une large enquête pour laver la «honte nationale»

Même si l’on ignore toujours la teneur du mandat dont héritera la Commission d’enquête sur les femmes autochtones disparues ou assassinées, la ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, a affirmé vendredi qu’elle espère qu’il sera le plus large possible pour tenir compte de toute l’étendue des « histoires tragiques vécues ici à Montréal comme ailleurs, et qui sont une honte nationale ».
La ministre Wilson-Raybould était de passage à Montréal, avec la ministre des Affaires autochtones, Carolynn Bennett, et la ministre responsable du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, dans le cadre des consultations tenues à la grandeur du pays pour déterminer les paramètres de la commission nationale qui doit enquêter sur la mort ou la disparition de 1200 femmes autochtones, annoncée par le gouvernement Trudeau le 8 décembre dernier.
À Montréal, une soixantaine de femmes, de familles et de proches de femmes disparues ou assassinées — dont plusieurs issus des communautés limitrophes de Kahnawake et Kanesatake, mais aussi du Grand Nord, de l’Outaouais, de la Mauricie et de l’Abitibi — sont venus participer à ces audiences qui ont parfois pris l’allure de partages.
Plus de 11 000 avis ont été envoyés au Québec à des citoyens d’origine autochtone pour participer à cette étape jugée cruciale pour recréer un lien de confiance avec les Premières Nations et doter la future commission d’enquête d’un mandat à la hauteur de leurs attentes, a insisté la ministre Wilson-Raybould.
Cette dernière a affirmé avoir entendu de nombreux témoignages « poignants » de la part d’autochtones de plusieurs régions du Québec, notamment de Val-d’Or, une communauté récemment secouée par une série d’agressions sexuelles qui auraient été commises par des policiers à l’encontre de femmes autochtones.
« Nous sommes devant des familles qui souffrent depuis 10, 15, 20 ans, devant des enfants dont les mères sont disparues. On veut briser ce cycle », a insisté Mme Joly. Tout comme sa collègue la ministre Bennett, celle-ci estime que les témoignages entendus au Québec sont à l’image de ceux recueillis jusqu’ici dans le reste du Québec. « Il faut reconnaître qu’il y a un problème systémique et on entend cela à la grandeur du pays. Le système actuel ne rend pas justice aux familles autochtones », a insisté la ministre du Patrimoine canadien, qui avait déjà fait ce constat à Québec, jeudi.
« Tous se plaignent d’une différence de traitement dans le système de justice et par d’autres institutions comme la police », a relancé la ministre des Affaires autochtones, d’avis que ce n’était ni pire ni mieux au Québec qu’ailleurs. Au cours de la journée, elle a notamment été mise au fait du cas d’une personne autochtone que le déni de justice a fini par pousser au suicide.
Dénis de justice
Si des cas de crimes particuliers ont été rapportés dans différentes régions — notamment à Vancouver, où les dizaines de meurtres perpétrés par le tueur en série Robert Pickton ou la vingtaine de disparitions de jeunes filles survenues sur « l’autoroute des larmes » au nord de la Colombie-Britannique ont fait grand bruit —, la ministre Bennett affirme qu’à ce 10e jour d’audience, les témoignages d’un bout à l’autre du pays font partout état de « délais indus et d’iniquité des traitements envers les autochtones dans les dossiers d’homicides, de disparitions ou de suicides ». Les ministres n’excluent pas que le mandat des enquêteurs puisse traiter des relations entre les corps policiers et les communautés autochtones, comme le réclament leurs représentants.
Le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, Ghislain Picard, espère que la Commission nationale d’enquête mènera un exercice contraignant, qui permettra d’appeler à témoigner certains officiers de police, notamment de la Sûreté du Québec. « Nous avons déjà demandé d’instituer une commission d’enquête sur les relations entre la SQ et les communautés », rappelle-t-il.
Il se dit par ailleurs heureux que la parole soit donnée aux familles. « C’est un processus inclusif qui motive la confiance. Plus de 1200 femmes disparues, ça justifie le mandat le plus large possible. On est tous anxieux de voir comment ira ce processus. »