Le ras-le-bol du milieu communautaire

Des manifestants ont fait entendre leur mécontentement devant le local électoral de Dominique Anglade, candidate libérale à l’élection complémentaire dans la circonscription montréalaise de Saint-Henri–Sainte-Anne.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Des manifestants ont fait entendre leur mécontentement devant le local électoral de Dominique Anglade, candidate libérale à l’élection complémentaire dans la circonscription montréalaise de Saint-Henri–Sainte-Anne.

Marche funèbre à La Malbaie, soupe populaire à Rivière-du-Loup, zone autonome déterminée par des fils de laine à Rimouski, « actions dérangeantes » à Québec, bannières déroulées un peu partout à Montréal, grogne populaire devant des bureaux de députés libéraux : près de 1300 organisations avaient fermé volontairement leurs portes hier et feront de même ce mardi 3 novembre pour protester contre le régime d’austérité imposé par le gouvernement.

Micheline Cromp, coordonnatrice du centre pour femmes Madame prend congé, dans le quartier Pointe-Saint-Charles, à Montréal, était dans la rue lundi matin. Pour elle, les actions du gouvernement Couillard font éclater les dernières lignes de défense derrière lesquelles pouvaient se retrancher les plus menacés. « On est allé, comme tout le monde du communautaire du quartier, devant le bureau de Dominique Anglade », l’ex-candidate de la CAQ devenue tête d’affiche pour le Parti libéral du Québec à l’occasion des élections partielles du 9 novembre.

« Le communautaire dehors contre l’austérité » : voilà le thème de cette journée qui a rallié des groupes de partout, aux quatre coins du Québec. Viviane Michel, présidente de Femmes autochtones du Québec, aurait voulu joindre le pas au mouvement, mais « l’état d’urgence dans lequel on se trouve nous oblige vraiment à rester là aujourd’hui. Sauf que nous aussi, on a été coupé ! La question des femmes autochtones a même été abolie dans les différents programmes de Patrimoine Canada. Et après, on nous demande comment ça va ! »

Selon Émilie Saint-Pierre, coordonnatrice à la Table régionale des organismes communautaires du Bas-Saint-Laurent, c’est tout simplement du jamais vu. « On subit un sous-financement chronique, et l’austérité met une pression supplémentaire sur les organismes pour compenser ce qui est coupé ailleurs. Il y a désormais des listes d’attente dans plusieurs organismes communautaires ! C’est nouveau. Et c’est malheureux, notamment parce que ce qu’on ne dit pas est que ça empêche ces organismes de travailler à la prévention des problèmes sociaux, ce qui est aussi leur fonction. »

 

Une société bloquée

« Lundi, ce n’était qu’un hors-d’oeuvre », affirme Micheline Cromp. « Tout ça va continuer. » Le plat de résistance de cette action commune de cette semaine sera une grande manifestation de leur insatisfaction ce mardi devant les bureaux du premier ministre à Montréal.

« Je n’ai jamais vu les libéraux dépenser autant pour leurs amis, mais il n’y a pas d’argent pour l’éducation et la santé ! Comment peuvent-ils dire ça à la population ? […] Un de mes fils travaille pour Bombardier. Je n’ai rien contre cette compagnie. Mais il y a quelque chose d’inacceptable. Ça dépasse l’entendement. On retourne dans les années 1940, où tu n’avais pas droit à l’éducation et à la santé. Tu n’avais pas d’argent : tu avais droit à une vie de misère. »

Nos élus, ajoute-t-elle, ne représentent pas la population, mais les intérêts des bien nantis. « Ces gens ont des amis partout dans le monde et ont fait comme eux le choix délibéré d’aggraver la pauvreté. […] Je fais partie des gens qui, avec leur maigre salaire, ont payé des études à ceux qui nous gouvernent, ceux qui dénigrent maintenant ce qu’on a fait pour eux. Ça ne se peut pas que tous les jeunes dans les écoles subissent ça à cause d’eux. »

Au Centre St-Pierre, près de la haute tour de Radio-Canada, se tenait lundi une commission populaire où se sont exprimés plusieurs groupes voués à aider les autres, mais qui, à la lumière des témoignages, apparaissent eux-mêmes dans le pétrin. Au nombre des groupes entendus, il y avait notamment le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes (RAPSIM), le Service d’Entraide Passerelle (SEP), la maison d’aide aux jeunes Tangente et le Cendre des femmes solidaires et engagées.

Sébastien Rivard, coordonnateur du Regroupement intersectoriel des organismes communautaires de Montréal (RIOCM), résume la situation générale du vaste ensemble formé par des centaines de groupes du genre en observant que les subventions de base versées à ces organismes n’ont pas été coupées, mais qu’elles ne sont pas majorées non plus, alors qu’ils font face dans les milieux où ils opèrent à une déstructuration qui augmente leur charge de travail et la précarité de leurs actions. « Des changements de programme font par exemple en sorte que le Refuge des jeunes ou L’Itinéraire n’arrivent plus à joindre les deux bouts. Les Centres d’éducation populaire, hébergés depuis des décennies par la commission scolaire, doivent aller voir ailleurs pour se loger parce que les écoles ont été coupées. Des groupes qui s’occupent de la santé mentale n’ont plus d’argent pour fonctionner parce qu’ils doivent absorber les coupes du réseau de la santé. Tous ces groupes doivent pallier ce qui arrive autour d’eux alors que la situation change. »

Les actions de ces deux journées spéciales sont placées sous le chapeau de la campagne « Je tiens à ma communauté, je soutiens le communautaire ». François Saillant, du FRAPRU, considère qu’il faudrait 225 millions de dollars de plus annuellement pour que 3000 groupes qui s’occupent tant bien que mal des domaines de la santé et des services sociaux puissent faire leur travail convenablement. Les groupes qui s’occupent de la défense des droits des plus vulnérables souffrent, dit-il, d’un sous-financement de 40 millions annuellement. « L’ensemble du milieu est pris à la gorge, notamment parce que la demande pour des services est plus grande en raison des mesures d’austérité du gouvernement. Les gens se tournent de plus en plus vers ces organismes. »

La moyenne des subventions de fonctionnement reçues annuellement est de 85 000 $ pour ces groupes, indique François Saillant, en précisant que pour la moitié des groupes, les sommes sont bien inférieures à ce chiffre. Depuis dix ans, ces budgets n’ont pas été convenablement indexés à l’augmentation du coût de la vie. « Oui, les choses s’aggravent, parce que des centaines de milliers de personnes ont plus que jamais besoin de ces services » faute de pouvoir en obtenir ailleurs, dit François Saillant. « Toutes les villes et les villages du Québec comptent sur des groupes communautaires. C’est partout qu’on a besoin d’eux. » Et c’est partout aujourd’hui qu’on avait fermé ou réduit les services pour montrer avec colère ce vers quoi on s’achemine.

Enchaînement symbolique

Plus de 20 000 parents ont formé lundi matin des chaînes humaines symboliques contre les compressions autour d’environ 300 écoles, partout au Québec.

« Il n’y a plus de gras à couper, chaque dollar enlevé a un impact sur les services aux élèves », a martelé en entrevue au Devoir Pascale Grignon, porte-parole du mouvement « Je protège mon école publique ».

La surpopulation des écoles les inquiète particulièrement, dit-elle en citant l’exemple de l’école Saint-Léon-de-Westmount, qui a dû transformer sa bibliothèque en salle de classe. Le sous-financement des services spécialisés, comme l’orthopédagogie ou la psychoéducation, hypothèque aussi la capacité de tous les élèves à réussir, selon le mouvement.

« Il faut investir maintenant, sans quoi on sera perdant comme société », insiste Pascale Grignon. Après l’entrée en classe des élèves, les parents ont rejoint des groupes communautaires devant les bureaux de Dominique Anglade, la candidate libérale dans Saint-Henri–Sainte-Anne, afin de lui rappeler son engagement en faveur d’investissements massifs dans l’éducation advenant son élection.
Sarah R. Champagne


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