Une vigile pour être entendues… et pour être crues

Sous des fumées de sauge, pancartes de femmes disparues ou assassinées s’agitant, plusieurs centaines de personnes ont fait déborder l’esplanade de la Place des Arts jeudi soir, dans un ultime espoir « que [leur] appel ne soit pas ignoré pour une dernière et inacceptable fois », a d’abord lancé Mélissa Mollen Dupuis, représentante d’Idle No More. Le rassemblement voulait aussi démontrer aux femmes autochtones « qu’on les croit », a ajouté Viviane Michel, présidente de Femmes autochtones du Québec (FAQ).
La vigile organisée entre autres par des organismes autochtones montréalais servait à réitérer la revendication de mettre en place une commission d’enquête nationale sur les violences perpétrées contre les femmes autochtones. Le vent soufflait fort, mais pas assez pour éteindre les lampions, protégés par la masse humaine.
C’est que la crise qui souffle tout aussi fort à Val-d’Or a ravivé l’urgence d’agir, même si la demande ne date pas d’hier. Après dix ans à affirmer que trop de femmes autochtones disparaissent ou sont assassinées, un rapport de la GRC qui en a fait état en 2014, des dizaines de recommandations, « il faut que les gouvernements se mettent en action, ici et maintenant », a clamé Mme Michel. « J’espère que ce sera la dernière vigile et que l’an prochain, c’est un pow-wow qu’on va célébrer », a quant à elle conclut Mme Mollen Dupuis.
La militante mohawk de longue date Ellen Gabriel était également sur place, émue de voir « autant de gens préoccupés ». Ghislain Picard, grand chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, a pris la parole pour saluer le courage des femmes anishnabe de Val-d’Or d’avoir « ouvert une grande porte » qui ne rend plus possible le statu quo. Représentant cette jeune génération urbaine autochtone, Philippe Meilleur, directeur de Native Montréal, a insisté sur le fait que la « justice n’est pas assez, il faudra du soutien et des services pour que la prochaine génération cesse de vivre cette violence ».
Abus de confiance
Au-delà de l’engagement ferme réclamé des gouvernements, Viviane Michel de FAQ a aussi ressenti le besoin de redire aux trois femmes à l’origine des dénonciations « qu’elles ne sont pas seules, qu’on croit à leur histoire ». Après la diffusion du détonateur de la crise en Abitibi, un reportage de Radio-Canada, les langues se sont déliées.
Nombre de voix se sont élevées toute la semaine pour dire que « ce n’est pas juste à Val-d’Or ou avec la SQ » ou que « le problème est connu depuis longtemps », et depuis, d’autres femmes ont décidé de dénoncer.
La constante dans ces confidences et les dénonciations à la caméra ? Les femmes préfèrent se confier à des organismes ou des journalistes plutôt qu’aux autorités.
Dans la population générale, seules 10 % des victimes d’agressions sexuelles portent plainte, une statistique « collée là » depuis de nombreuses années, indique la coordonnatrice du Regroupement québécois des centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (RQCALACS), Nathalie Duhamel. Et la plus grande crainte des « non-dénonciatrices » est qu’on ne les croie pas, explique-t-elle. Ajouté à cela la marginalisation associée au statut d’autochtone, la crédibilité de ces témoignages est d’autant remise en question. Et cet épisode aura donné l’occasion de le démontrer à nouveau, malgré le cri de détresse lancé.
Après le déni, le discrédit
Si certains commentaires associés à la pétition des policiers mise en ligne lundi remettaient déjà en question la véracité des témoignages, les doutes les plus odieux sont sans doute ceux de l’animateur de radio André Arthur. Il a affirmé mardi sur les ondes de CHOI Radio X que cette affaire serait une « fabrication », selon lui, car « 200 $ pour une fellation, c’est pas le tarif à Val-d’Or ». D’autres médias ont aussi tenté de disqualifier les affirmations, en déterrant le passé des femmes autochtones. « Le système est en train de discréditer ce qu’elles ont vécu, alors qu’elles ont besoin de savoir qu’on les croit », a déploré Viviane Michel jeudi soir, trouvant même le mot « allégation » trop faible pour la situation.
« On ne leur donne pas la présomption de vérité, alors que les policiers réclament la présomption d’innocence », dit quant à elle Mélissa Blais, chargée de cours à l’Institut de recherches et d’études féministes de l’UQAM. Elle explique que le « backlash » (« réaction violente ») est presque systématique devant des mouvements sociaux, surtout dans le cas de femmes dévoilant des agressions. Il n’y a pourtant pas plus de fausses allégations dans les cas de violence sexuelle que dans les autres cas d’actes criminels, insiste-t-elle.
D’où l’importance de renforcer la parole des femmes autochtones en se dressant derrière elles, ramène Mme Michel. Des vigiles avaient lieu dans au moins quatre autres localités jeudi. D’autres rassemblements sont également prévus à Ottawa et à Québec la semaine prochaine, ainsi qu’une rencontre entre les chefs autochtones et le premier ministre Philippe Couillard.