De la rue au foyer

Il y aurait jusqu’à 100 000 enfants dans l’industrie du sexe aux Philippines selon l’UNICEF. Tenace devant l’ampleur de la tâche, Dominique Lemay tente au moins de sauver les jeunes filles croisant la route de la fondation Virlanie.

Elles sont une trentaine à vivre dans la maison baptisée du nom de sa mère, Elizabeth, avec une mère et un père de substitution aimants, en plus d’y côtoyer des psychologues pour leur réadaptation. Le Français d’origine a mis sur pied cet organisme en 1992, après avoir travaillé quelques années auprès des enfants des rues de Manille, la capitale de l’archipel philippin. Il existe plus de vingt ans plus tard une dizaine de ces maisons d’accueil, dans lesquelles les enfants retrouvent une certaine « dignité », du moins « une relation à l’autre qui leur rend leur humanité », souhaite M. Lemay.

Le premier centre d’hébergement du genre est né après une rencontre marquante : « Je me baladais dans les rues, j’avais vu un bébé sur une balancelle dont la mère respirait du solvant et lui tendait le sac. J’ai acheté à manger. Quand je suis repassé quelques jours plus tard, le bébé n’y était plus. Sa mère m’a dit qu’il était mort. »

La fondation Virlanie s’est donc mise à accueillir les mères avec leurs enfants, mais Dominique Lemay a vite constaté qu’environ 10 % des filles de la rue qu’il accueillait avaient vécu la prostitution ou des agressions sexuelles. Les enfants venus des campagnes, attirés comme des aimants par la promesse d’une vie meilleure dans la grande ville, sont particulièrement susceptibles de se retrouver sans autre option.

Mais la pauvreté n’explique pas tout. « La rue est beaucoup liée à la violence, aux rapports familiaux éclatés et la prostitution à la survie dans ces conditions. Une fois abusé, le corps perd sa valeur, nous répètent les enfants récupérés », expose le sexagénaire.

Jusqu’au coeur des maisons

De passage au Québec pour faire connaître la section locale de l’organisme, il parle de cette violence transportée jusqu’au coeur des maisons Virlanie par « de si jeunes êtres humains ». Les intervenants tentent alors de transformer leur existence en les apprivoisant d’abord, puis en leur redonnant le « droit d’exister ». Le fondateur cite à ce titre Mirabel, aujourd’hui âgée de 30 ans, qui travaille à la maison après avoir transformé son agressivité et son dur passé de prostitution en « résilience ». « Elle est encore difficile », glisse M. Lemay en la décrivant pourtant comme sa fille adoptive.

Les rues de Manille, ce sont aussi des enfants toxicomanes, handicapés mentaux ou à peine sortis de prison. Quand « les bidonvilles sont encore ce qu’il y a de mieux » par rapport à la rue, Virlanie tente d’offrir un toit et une communauté à « la palette la plus large de situations », ce qui lui a amené 16 000 enfants depuis ses débuts. Parviennent-ils à les sortir définitivement de la rue ? « C’est 50/50 », admet M. Lemay sans détour. Il pense à Rey passé dans les maisons d’innombrables fois pour se retrouver à nouveau à errer. « La porte est toujours ouverte, mais sortir de la rue, c’est aussi casser leur environnement, aussi lamentable soit-il. J’ai appris l’humilité et que la liberté va jusque-là. Rey ne sait pas vivre autrement », conclut-il lucide, mais acharné.

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