Les effets néfastes des coupes

Les mesures d’austérité s’abattent sur plusieurs pans de la société, laissant sur leur passage un vide, des besoins non comblés, une absence de soutien. Trois photographes québécois de l’agence Hans Lucas ont décidé de pencher chacun leur regard sur une des conséquences de l’austérité. Au-delà des chiffres et des mesures comptables, zoom sur le visage de ce qui sera bientôt perdu.
Jean-Félix, 24 ans, consommait des opiacés, un peu, depuis quelques années. En 2013, au décès de sa mère, il plonge pour de bon. Il se met à voler. En novembre 2014, il coupe des fils à haute tension. Le cuivre des fils se revend bien. Mais ça ne se passe pas comme prévu. Un choc électrique lui fait perdre une partie de la motricité de sa mâchoire. Arrestation. Prison. Puis, on lui propose de suivre une thérapie en désintoxication, qu’il entreprend en avril 2015.
Il séjourne 12 semaines au Centre Caroline Roy à Saint-Ludger, bercé par le son de la rivière Chaudière. La nature y offre la possibilité de s’isoler, de se redécouvrir avant d’affronter le monde à nouveau. Les jours passent au rythme des activités thérapeutiques, des besognes quotidiennes et du travail sur soi. C’est là qu’il croise la route du photographe Alexis Aubin.
Les centres de thérapie sont lourdement perturbés par le resserrement des règles pour l’admissibilité à l’aide sociale. Depuis le 1er mai 2015, les personnes hébergées dans ces centres ont vu leur versement mensuel passer de 747 $ à 200 $ par mois, une somme insuffisante pour payer une thérapie. La mesure devrait permettre de sauver 15 millions de dollars, selon l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS).
Au Québec, 80 % des 7300 places disponibles en centre de thérapie sont occupées par des patients bénéficiant de l’aide sociale, mais, désormais, reconnaît Caroline Roy, ces derniers évitent d’entreprendre des thérapies pour ne pas rendre leur situation financière encore plus précaire.
Pour Christophe
La disparition d’un autre programme, celui de la procréation assistée, a retenu l’attention d’Adrienne Surprenant. La jeune photographe nous invite à découvrir l’intimité d’Élisabeth Tardy et de Gabriel Magloire, les parents du petit Christophe né grâce à la procréation assistée.
Après un an d’essais infructueux, le couple apprend que Gabriel souffre d’oligo-asthénospermie, un problème qui affecte la mobilité des spermatozoïdes. Pris en charge par la clinique de fertilité Ovo, il reprend peu à peu espoir et, après cinq ans d’efforts, le petit Christophe arrive dans leur vie.
La couverture des traitements de procréation médicalement assistée leur a permis de se consacrer entièrement à leur projet de famille. Or, dès l’automne, Québec annoncera les dispositions juridiques du projet de loi 20, qui pourrait mettre fin à la gratuité de la procréation assistée, afin de réaliser une économie de 48 millions de dollars.
Aujourd’hui enceinte de son deuxième enfant, toujours grâce au programme, Élisabeth estime que le couple aurait dû investir 10 000 $ pour fonder une famille. « Les coupes et les restrictions proposées dans le projet de loi 20 ne nous auraient pas permis d’avoir ce second enfant. »
Des logements adaptés
Le photographe Valérian Mazataud a choisi de documenter un projet de logement social construit grâce à l’aide du programme AccèsLogis, de la Société d’habitation du Québec (SHQ). Ce programme gouvernemental finançant la création de logements sociaux est lui aussi passé sous le rouleau compresseur.
À Montréal-Nord, l’organisme Un rayon de soleil offre du logement abordable aux jeunes mères monoparentales âgées de moins de 30 ans. Le bâtiment comprend un centre d’aide alimentaire ainsi qu’un CPE et permet de développer l’entraide entre les résidantes, dans un quartier où la moitié des familles sont monoparentales. Seule condition pour être admise : reprendre les études. Les jeunes paient un loyer qui ne doit pas dépasser le quart de leur revenu.
Toute la force du programme AccèsLogis est de permettre d’offrir des services et des logements adaptés à des personnes ayant des besoins particuliers : mères monoparentales, aînés, personnes ayant une déficience physique… Dans le budget 2015-2016, le financement a subi une cure d’amaigrissement de 124 millions, soit la moitié du budget précédent, ce qui permettra de construire 1500 logements, au lieu de 3000. Certes, le gouvernement a promis de l’aide au loyer pour compenser, mais, dans les faits, l’année à venir n’offrira que 250 suppléments au loyer (SPL) de plus que l’an dernier.
Les coupes et les restrictions proposées dans le projet de loi 20 ne nous auraient pas permis d’avoir un second enfant.