La gauche doit se réinventer sans se dénaturer

Se réinventer sans se dénaturer, séduire un électorat suffisamment vaste pour former le gouvernement, sans toutefois renier ses origines… ou aliéner sa base. C’est l’éternel défi de la gauche, qu’il soit question du Nouveau Parti démocratique au Canada, de Podemos en Espagne ou encore de Syriza, la formation politique du premier ministre grec Alexis Tsipras, plongée dans une crise à la suite de la défection de 25 de ses députés en raison de la démission du chef du gouvernement grec.
Fraîchement arrivé à Montréal pour un séjour de quelques jours, à l’occasion de la 6e édition de l’Université populaire des Nouveaux Cahiers du socialisme, Andreas Karitzis a les yeux tournés vers la Grèce. Membre du comité central de Syriza, le militant n’aurait pu prévoir les développements improbables des derniers jours, dont le déclenchement d’élections anticipées et le départ de 25 députés, partis pour constituer une formation politique encore plus à gauche que celle portée au pouvoir par les Grecs en janvier dernier, et résolus à quitter l’Union européenne le plus rapidement possible.
Cette suite d’incidents illustre les défis que pose la volonté de la gauche de se recalibrer vers le centre, selon lui. « On a voulu signer un accord avec l’Union européenne. Aujourd’hui, c’est fait. Il y a un consensus en Grèce, c’est que l’accord est mauvais. On a voulu faire un compromis, mais ça n’a pas eu les effets les plus positifs », a-t-il estimé entre deux ateliers, toujours incertain de son sort au sein de la formation politique.
Approche réaliste
Au Canada, le NPD a, depuis des lustres, délaissé son vocabulaire plus « gauchiste » pour s’ouvrir aux masses. Une recette qui s’est avérée gagnante pour la formation de Tommy Douglas, Jack Layton et Thomas Mulcair, même si cela ne s’est pas fait sans causer des remous, comme lorsque le parti a modifié le préambule de sa constitution pour atténuer la notion de « socialisme », en 2013. « Ce n’est pas tant d’amener le parti vers le centre que d’amener le centre vers le parti », avait alors expliqué Thomas Mulcair. Syriza et Podemos — un nouveau parti de gauche espagnol, actuellement troisième dans les intentions de vote, tout juste derrière le Parti socialiste ouvrier espagnol — doivent s’inspirer de cette approche réaliste, croit Jorge Lago, l’un des responsables du mouvement Podemos.
« On ne peut continuer à faire de la politique à partir des symboles traditionnels de la gauche, travailliste, gauchiste, si ça n’arrive pas à communiquer aux jeunes, aux gens, les idées de la formation politique. Les images, le vocabulaire ne rejoignent pas les gens. Mais le contenu, les mesures sociales, l’idée d’égalité, ça les intéresse. […] On peut parler d’anticapitalisme, ou encore de démocratie économique », suggère-t-il.
Si le NPD a bien assimilé cette leçon, Podemos et Syriza ont encore bien du chemin à faire, reconnaissent les deux militants. Alors que des élections générales se profilent à l’horizon en Espagne, les collègues de M. Lago pourraient bien vouloir jeter un coup d’oeil à la campagne électorale du NPD, susceptible, pour la première fois de son histoire, de former le gouvernement.
La 6e édition de l’Université populaire des Nouveaux Cahiers du socialisme, qui rassemble de 300 à 400 personnes, se déroule jusqu’à dimanche à l’Université du Québec à Montréal, avec pour thématique « Repenser l’émancipation ».