Envisager les troubles sexuels dans leur globalité

Ce texte fait partie du cahier spécial Professions
Tous deux titulaires d’une maîtrise en sexologie clinique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Léon Petit et Annabelle Marsan exercent le métier de sexologue depuis environ un an. Lui, dans le milieu communautaire et dans son cabinet privé, elle, au sein d’une équipe multidisciplinaire dans un hôpital du Grand Montréal. Passionnés par leur pratique et convaincus de la nécessité de voir sa place grandir dans la société, ils estiment cependant que le Québec est un endroit privilégié pour exercer ce métier.
Chez les Petit, on est sexologue de mère en fils. « J’ai toujours baigné dans cet univers, raconte ce Français venu au Québec pour suivre tout spécifiquement le cursus en sexologie donné à l’UQAM. Ma mère m’a transmis cet intérêt, cette passion pour l’être humain. »
Lorsqu’il a choisi de reprendre le flambeau maternel, Léon Petit a regardé tout autour de la planète où il serait le plus pertinent, selon lui, de venir faire ses études. Et s’il a jeté son dévolu sur la belle province, c’est qu’il estime que c’est ici que cette discipline est la plus avancée.
« J’étais prêt à aller jusqu’en Australie pour avoir la formation la plus complète, affirme-t-il. Mais il n’y a qu’ici qu’on fait vraiment la différence entre la science de la sexologie et la science de la sexualité. La science sexologique est, à la base, interdisciplinaire. On la retrouve dans la médecine, la biologie, l’anthropologie, la sociologie, la psychologie, bref, dans de nombreuses disciplines. On regarde les troubles sexuels dans leur globalité. C’est ce que je trouve très juste dans la conception québécoise. Il me paraît limitatif d’aborder le symptôme sexuel juste avec le regard du médecin, du psychologue ou du sociologue. Il faut prendre en compte toutes ses dimensions, afin d’aider l’être humain à traverser ses difficultés. »
Car, si les personnes qui viennent consulter un sexologue ont toutes une problématique liée à leur sexualité, non seulement ces problématiques peuvent être très variées, mais, en plus, il existe presque autant de causes que de patients. Couple en panne de désir, addiction sexuelle, sexualité hors norme, adolescent à la recherche de son identité sexuelle, personne qui consulte compulsivement des sites pornographiques, infidélité, difficultés à atteindre l’orgasme, éjaculation précoce, etc., autant de raisons qui peuvent amener quelqu’un à pousser la porte d’un bureau de sexologue. Il y a aussi des gens qui, après un accident, présentent du jour au lendemain un handicap physique, ceux qui souffrent d’une maladie grave, qui ont subi une mastectomie, qui subissent des traitements invasifs relevant de la chimiothérapie…
« L’annonce de la maladie crée un choc, explique Annabelle Marsan, jeune sexologue qui travaille depuis près d’un an auprès de personnes atteintes d’un cancer. Les traitements peuvent modifier le fonctionnement et l’équilibre sexuels, donc souvent également la dynamique de couple. Parfois, il s’agit simplement de donner de l’information, de rassurer la personne. Parfois, on l’aide à réapprivoiser sa sexualité, à s’adapter à son image dans l’intimité. Certaines chirurgies laissent des séquelles physiques, cela a forcément un impact sur l’imagecorporelle et ça peut mener à de la détresse sexuelle. Nous sommes là pour assurer le soutien, encourager le patient, le couple à aller vers d’autres formes d’expression sexuelle. »
Et tout cela, bien sûr, en fonction de la demande du patient. Mme Marsan travaille au sein d’une équipe multidisciplinaire. Ses collègues, médecin, infirmières, psychologues, jouent un rôle de dépistage, informent les patients de la présence, dans leur service, d’une sexologue et peuvent leur proposer une consultation. Certains en ont besoin dès l’annonce de la maladie, d’autres durant les traitements, d’autres encore lorsqu’ils sont en rémission.
« Le patient est au centre de la trajectoire médicale, précise-t-elle. Face à l’épreuve de la maladie, certains vivent bien leur sexualité. Mais, s’il y a une détresse, une préoccupation, nous sommes capables d’intervenir. C’est certain qu’il y a, au départ, une réticence à consulter un sexologue, à s’exposer, à parler de sa vie intime. Cela dit, on s’aperçoit qu’il y a de plus en plus de demandes. Notre profession est jeune. Nous ne sommes pas présents dans tous les services. Nous devons nous tailler une place, démystifier notre rôle. Mais le temps joue en notre faveur. D’autant plus que nous avons maintenant un ordre. »
Un ordre, qui, depuis 18 mois maintenant, oeuvre à protéger le public contre tous les charlatans qui jusque-là pouvaient usurper le titre. Tout en donnant de la crédibilité aux vrais professionnels.
« Aujourd’hui, la plupart des médecins n’hésitent plus à diriger quelqu’un vers un sexologue, c’est d’ailleurs comme cela que la plupart de mes patients arrivent dans mon cabinet, note Léon Petit. Certainement un peu parce que la discipline existe au Québec depuis 40 ans et qu’elle a pris sa place dans le milieu médical. Mais c’est sûr que l’ordre, en plus de protéger le public, marque une véritable reconnaissance sociale. Il permet également de mettre en place un cadre de pratique, un code de déontologie. Les gens qui viennent voir un sexologue sont en souffrance. S’il n’y a pas de cadre, pas de sanctions, il est très facile de profiter de leur vulnérabilité, et ça peut faire de gros dégâts. »
M. Petit fait d’ailleurs partie du comité qui a rédigé le code de déontologie et de celui qui, aujourd’hui, explique ce que chaque alinéa implique pour le praticien. Car, en plus de voir des patients et de rédiger des diagnostics, il mène une véritable réflexion sur la pratique de son métier et son évolution. Il a notamment donné un cours sur l’histoire de la sexologie à l’UQAM. Il organise aussi des formations centrées plus spécifiquement sur la thérapie de couple.
« J’aime travailler avec les couples, reconnaît-il. Je me suis rendu compte que ce qui soude un couple, c’est le besoin d’attachement, de sécurité. Généralement, lorsqu’ils viennent me voir, c’est qu’ils sont au bord de la rupture. Ils ont un dysfonctionnement sexuel, mais, plus profondément, il y a un bris dans l’attachement. Ça peut être parce qu’il y a eu infidélité, mais ça ne va pas toujours jusque-là. Il y a une perte de confiance qui mène souvent au dysfonctionnement sexuel. C’est très intéressant en tant que sexologue, car ça fait vraiment appel à la multidisciplinarité de notre formation. »
Lorsqu’il n’est pas dans son cabinet de la clinique médicale Angus à Montréal, Léon Petit exerce au Centre d’intervention en délinquance sexuelle (CIDS). Il y rédige des évaluations psycho-sexuelles pour les tribunaux et il offre des traitements à une clientèle accusée ou condamnée pour crime sexuel, ou encore à des gens qui sortent de la prison pour les mêmes raisons et qui doivent se réinsérer dans la société.
« Bref, à 99 %, des personnes qui n’ont pas très envie de se retrouver devant moi, résume-t-il. Ce n’est pas tous les jours facile. Ça vient réveiller nos valeurs. On ne peut pas être d’accord avec ce qu’ils ont fait. Mais nous devons faire preuve d’empathie pour réussir à aller les chercher. Eux-mêmes vivent une souffrance. C’est ça qui a fait dévier leur schéma sexuel. Ils manquent de limites. Notre rôle consiste à leur permettre de développer une bonne estime de soi en vue de prévenir les récidives. Et, en même temps, on travaille sur les facteurs criminogènes, ceux qui favorisent le passage à l’acte délictueux, les croyances erronées notamment. L’idée que la victime a envie, qu’elle aime ça. Un homme de 25 ans qui a des contacts sexuels avec une jeune fille de 8 ans et qui justifie son comportement en prétendant qu’elle a du plaisir puisqu’elle n’a pas dit non. On travaille alors avec une approche qu’on appelle cognitivo-comportementale. »
Une approche scientifique. Comme toutes celles adoptées par les sexologues. Car, même si la discipline est jeune, la littérature scientifique sur le sujet est abondante. Surtout en anglais cependant, précise M. Petit, qui prédit que le volet francophone s’étaiera ces prochaines années avec l’arrivée notamment du doctorat en sexologie à l’UQAM. C’est du moins ce qu’il espère.
Annabelle Marsan, pour sa part, souhaite que la synergie entre les professionnels et l’ordre permette aux sexologues d’occuper une place grandissante dans la société.
« Je souhaite être sexologue depuis l’école secondaire. Il y avait, à l’époque, un programme de formation personnelle et sociale avec un volet qui abordait la sexualité dans le développement humain, se souvient-elle. J’ai fait mon cégep en sciences humaines avec l’idée d’intégrer le Département de sexologie de l’UQAM. J’ai eu mon bac, puis ma maîtrise clinique, et, dès mon diplôme en poche, j’ai eu mon poste. Je suis tous les jours un peu plus convaincue de l’utilité de mon métier et de la nécessité de voir plus de sexologues entrer dans les équipes multidisciplinaires. Le travail est déjà bien entamé, mais si je devais formuler un souhait, ce serait que les gens comprennent mieux notre rôle et la façon dont notre discipline s’inscrit dans le contexte de l’équilibre et de la qualité de vie des individus. »
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