La pollution sonore accable davantage les pauvres

La pollution sonore touche notamment les personnes résidant près des autoroutes.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir La pollution sonore touche notamment les personnes résidant près des autoroutes.

C’est une des grandes injustices de la vie à Montréal : les pauvres sont davantage exposés au bruit que le reste de la population, révèle une étude inédite. Et la crise du logement ne fait qu’amplifier le problème.

Les gens qui ont le revenu médian le moins élevé sont les plus susceptibles de vivre près des sources de pollution sonore importantes comme les autoroutes, les industries et les voies ferrées, conclut une enquête menée par des chercheurs universitaires et par la Direction de santé publique de Montréal.

 

Cette découverte n’est pas banale, parce que l’exposition à des niveaux sonores de plus de 55 décibels peut provoquer des problèmes de santé, prévient l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Parce qu’ils vivent près d’une source de bruit, les pauvres risquent ainsi de mal dormir, de manquer de concentration et même de développer des maladies cardiovasculaires, indique l’étude publiée dans le magazine BioMed Central.

« L’exposition au bruit représente une injustice environnementale à Montréal », conclut le rapport de huit pages, coordonné par la professeure Audrey Smargiassi, du Département de santé environnementale et de santé au travail de l’Université de Montréal. Des représentants de l’Université McGill ont aussi contribué à l’étude.

Les chercheurs ont produit une carte du bruit à Montréal en plaçant 87 détecteurs de niveau sonore dans 3147 régions réparties partout dans l’île. Sans surprise, les zones les plus exposées au bruit se trouvent le long des autoroutes, notamment la Métropolitaine, la 15 et la 25. L’aéroport de Dorval, les voies ferrées (notamment à Pointe-Saint-Charles) et les industries, entre autres dans l’est de l’île, sont aussi parmi les endroits les plus bruyants. Et les plus habités par les familles à faibles revenus.

Crise du logement

 

Les observateurs de l’immobilier à Montréal expliquent facilement ce déplacement des citoyens les plus vulnérables près des sources de pollution sonore : c’est devenu tellement difficile de se loger à prix raisonnable que les démunis n’ont pas le choix d’aller vivre aux pires endroits dont personne ne veut.

« Le président de la Banque du Canada l’a dit récemment : ce qui nous menace le plus au pays, c’est la crise du logement qu’on vit », affirme Claude Dauphin, maire de l’arrondissement de Lachine et président sortant de la Fédération canadienne des municipalités (FCM).

« Il n’y a quasiment plus de logements qui se construisent à Montréal. Plus de 90 % des nouvelles constructions sont des condos. Ce n’est pas tout le monde qui a les moyens d’acheter un condo à 300 000 $ ou 400 000 , ajoute-t-il.

La FCM tente de convaincre le gouvernement fédéral d’investir davantage dans la construction de logements à prix abordable. Le 1,7 milliard de dollars investi actuellement chaque année par Ottawa dans le logement diminuera de façon importante au cours des cinq prochaines années, souligne Claude Dauphin. « Il n’y avait rien pour le logement dans le budget déposé en avril », dit-il.

Le tiers des 600 000 logements sociaux au Canada sont à risque à cause des coupes de budget, selon la FCM. Il faut non seulement construire de nouveaux logements abordables, mais rénover ceux qui ont été bâtis dans les années 70 et 80. Ils tombent en ruines, souligne Claude Dauphin.

« On veut retenir les familles à Montréal. Ça prend du logement pour ça ; 70 % des Montréalais sont des locataires », ajoute-t-il.

Les municipalités demandent notamment au gouvernement fédéral de créer des incitatifs fiscaux pour rappeler aux promoteurs de construire des logements plutôt que des condos. Mais les Villes ne peuvent-elles pas aussi poser des gestes concrets ? Une administration municipale peut-elle exiger qu’un promoteur construise un certain nombre de logements à louer, dans un projet de condos ?

« C’est ce qu’on essaie de faire à Lachine,dit le maire de l’arrondissement. Il y a un marché pour le locatif : des logements, il n’y en a plus ! »

Double fardeau

 

En attendant le coup de barre attendu dans le financement de logements abordables, les pauvres se rabattent sur les coins les moins attrayants de la ville. La DSP a révélé au cours des derniers mois que la pollution de l’air est plus élevée dans les quartiers pauvres. L’espérance de vie est plus élevée de six ans dans les quartiers riches de Montréal que dans les quartiers défavorisés, toujours selon la DSP. Et on vient de l’apprendre, les démunis sont davantage exposés au bruit ambiant.

L’étude démontre que 15,8 % des zones étudiées étaient à la fois bruyantes et habitées par des familles au revenu médian bas ou moyen ; 15,3 % des régions avaient aussi le double fardeau de pollution sonore et d’un fort taux de chômage. L’étude a aussi évalué d’autres indices montrant que la population est défavorisée : proportion de ménages composés d’une seule personne, proportion d’habitants de 25 ans et plus sans diplôme, proportion des ménages qui consacrent plus de 30 % de leurs revenus à se loger.

« La Ville doit intervenir en priorité dans les quartiers aux revenus les plus bas pour réduire les niveaux de pollution sonore », dit Audrey Smargiassi, auteure principale de l’étude sur le bruit. L’ajout de végétation peut réduire l’impact du bruit. Certains types de matériaux de construction absorbent aussi le bruit plutôt que de le refléter. L’urbanisme peut aussi combattre le bruit : il faut éviter de créer des couloirs de bruit faits de bâtiments en hauteur, explique la professeure.



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