Armes à l’oeil, ou le combat de Maxence

Devant l’immensité du Grand Quartier général de la Sûreté du Québec, rue Parthenais à Montréal, Maxence L. Valade éprouve un certain vertige. « C’est énorme, ce truc ! C’est à ça qu’on est en train de s’attaquer !? »
Trois ans après avoir reçu en plein front un bâton cinétique tiré par un fusil de type ARWEN lors de l’émeute de Victoriaville, Maxence poursuit la SQ en dommages et intérêts. La marque de la brutalité policière, il la porte en plein visage : ce 4 mai 2012, il a perdu son oeil gauche.
Avec le collectif Armes à l’oeil, créé il y a trois mois, l’étudiant en sociologie de l’UQAM souhaite que ce procès permette deux choses : débattre du danger mortel que représentent ces armes à létalité réduite utilisées par les policiers. Et percer le mur de l’impunité policière.
Dans la bouche de Maxence, les prénoms s’additionnent au fil de son récit : Francis (Grenier), Dominique (Laliberté-Martineau), Alexandre (Allard), Éric (Laferrière), et jusqu’à la petite dernière, Naomie (Tremblay-Trudeau), atteinte par des gaz irritants propulsés par un fusil « lance-gaz » à moins d’un mètre de son visage. Ce sont tous des camarades d’infortune qui ont subi physiquement l’utilisation de ces armes à « létalité réduite ». « Chaque fois qu’un policier tire avec une de ces armes-là, il risque de causer la mort », affirme Maxence, qui serait mort au dire de son médecin si le projectile de plastique avait heurté son oeil plutôt que l’os de son arcade sourcilière, un centimètre plus haut.
Montée en puissance de la police
Mais pourquoi mener ce combat maintenant, trois ans après la fin du conflit étudiant épique de 2012 ? « Parce que ça m’a pris un bon trois ans pour me relever et retrouver l’énergie pour embarquer dans un mouvement. Parce que, récemment, il y a eu plusieurs événements liés à la brutalité policière, de Ferguson aux États-Unis jusqu’à Rémi Fraisse mort en France [militant écologiste atteint mortellement par une grenade de dispersion en octobre 2014]. Et puis, parce qu’il y a en ce moment au Québec une montée en puissance incroyable des forces policières et une militarisation du corps policier qu’il faut arrêter avant qu’il n’y ait un mort. »
Dans le café où il explique combien il se sent à sa place dans la « dignité » d’une foule sillonnant la rue, Maxence L. Valade présente le profil du révolutionnaire philosophe, qu’on imagine manifester fleur à la boutonnière. Il cite du Walter Benjamin — « C’est l’état normal des choses qui mène à la catastrophe »— et du Gilles Deleuze — « Il ne s’agit pas de craindre ni d’espérer, mais de trouver de nouvelles armes » — pour expliquer combien le mouvement d’indignation actuel l’encourage et le rassure, même si certains n’y voient qu’un « fourre-tout » diffus sans contours clairs.
Le jeune homme de 23 ans s’enflamme. « Quand ton monde rime soit avec un champ pétrolifère infini, soit avec l’omniprésence des policiers, soit avec une pharmacie généralisée, les moments de puissance qui rassurent sont ceux qui t’habitent quand tu te présentes dans la rue avec des milliers de personnes et que tu te sens à la hauteur de ton époque. Tu te dis : il faut tirer le frein d’urgence parce que sinon, on se dirige droit vers la catastrophe. »
La cause de 2012, une hausse des droits de scolarité décrétée après un long règne de gel, était en quelque sorte « facile », sinon à combattre, du moins à comprendre, croit Maxence. « 2012 et 2015, ce sont deux mondes. La conjoncture est différente, les mouvements aussi. Le fait qu’on arrive à faire une grève aujourd’hui sur des enjeux comme l’austérité, le transport pétrolier, l’exploitation des sables bitumineux, c’est un gain absolu, pas un recul ! Oui, le mouvement est plus difficile à saisir pour les médias, la population, mais c’est ce qui le rend intéressant, je trouve. »
En s’attaquant au symbole que constituent les forces policières, le collectif Armes à l’oeil et Maxence veulent aussi égratigner au passage « le rapport de force qui lie le pouvoir politique à son bras armé », ce qui expliquerait la « frilosité des élus » lorsque vient le temps de dénoncer une bavure policière — si l’attaque au fusil-gaz de la jeune Naomie la semaine dernière à Québec a ébranlé la ministre de la Sécurité publique, Lise Thériault, le maire Régis Labeaume, lui, a réagi en deux temps avant de finalement condamner le geste du policier.
« La force de l’État en ce moment, c’est d’avoir fait en sorte que les citoyens se conçoivent en ses termes à lui. Cette constance langagière est sans doute l’un des pires problèmes que nous avons à affronter », explique Maxence, qui n’a confiance ni en la police ni non plus en ces organes de déontologie policière qui l’entourent, et qui dénonce le fait que la police jouisse toujours du bénéfice du doute.
Il dit mener sa lutte non seulement pour lui et pour nourrir le débat public, mais aussi pour toutes ces « victimes » anonymes qui ont subi la répression lors de manifestations, à coups de matraque, mais aussi à coups de contraventions et d’accusations criminelles. Alors que la crédibilité du règlement municipal P6 est malmenée devant les tribunaux, Maxence rappelle le cas de toutes ces personnes qui « ont subi l’appareil judiciaire pendant des années, ont eu des conditions absurdes à respecter, comme des couvre-feux à 20 h, et qui, au final, ont été acquittées faute de preuve. C’est totalement affligeant ! »
Entouré de ces personnes jour après jour dans la rue, Maxence se sent bien. Beaucoup mieux que seul chez lui dans des périodes d’apathie et de normalité tranquilles. « Tous ceux et celles qui continuent malgré les coups et les amendes témoignent d’une dignité incroyable en comparaison avec l’indignité des policiers et des pouvoirs politiques qui utilisent la répression pour se débarrasser des conflits et des crises sociales. »
La brutalité policière en cinq dates
21 avril 2001 Au Sommet des Amériques, à Québec, Éric Laferrière a le larynx fracturé après avoir été atteint à la gorge par une balle de plastique.Juin 2001 Un rapport produit par la Ligue des droits et libertés conclut que les balles de plastique tirées par les fusils ARWEN ne doivent plus être utilisées.
4 mai 2012 Une manifestation en marge du Conseil général du PLQ fait plusieurs blessés, dont Maxence L. Valade, Dominique Laliberté-Martineau et Alexandre Allard, tous trois affirmant avoir reçu des balles de plastique.
Janvier 2015 Création du collectif Armes à l’oeil.
25 mars 2015 Maxence L. Valade intente une poursuite en dommages et intérêts contre la Sûreté du Québec.

Maxence L. Valade
À propos du fusil ARWEN
