Une offensive anti-Pegida s’organise
Pendant que l’arrivée au Québec d’organisations islamophobes préoccupe les autorités et la classe politique, des groupes de la gauche radicale préparent leur propre remède à cette nouvelle mouvance. La tenue d’une manifestation anti-musulmane samedi prochain, en plein « petit Maghreb » (rue Jean-talon entre les boulevards Saint-Michel et Pie IX), sera mouvementée, promettent-ils.
Né en Allemagne à l’automne, le groupe Pegida (« Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident ») inquiète les gouvernements des nombreux pays dans lesquels il s’est implanté depuis. Le groupe originaire de Dresde tient depuis octobre des « promenades du soir », tous les lundis, auxquels participent chaque fois des milliers de personnes, particulièrement en Allemagne. Pegida Québec, créé à la mi-janvier, serait la première section du mouvement en Amérique du Nord. Le groupuscule tiendra son premier rassemblement au coeur du petit Maghreb samedi prochain aux environs de 16 h.
Le rassemblement prévu est une « action citoyenne », « dont le seul but est de réunir un maximum de personnes de toutes origines […] qui veulent sauvegarder nos valeurs démocratiques face à l’islamisation, c’est-à-dire l’introduction progressive de la charia dans notre pays », s’est défendu dimanche l’un des artisans du groupe au cours d’un entretien avec Le Devoir, sur le réseau Facebook.
Alors qu’on lui demandait pourquoi Pegida Québec, qui revendique plus d’un millier de membres, avait choisi de manifester dans ce quartier multiculturel plutôt qu’au centre-ville, la personne se cachant derrière la page Facebook de Pegida Québec a offert ceci comme réponse : « Pourquoi aller manifeste[r] au centre-ville ? [...] Depuis quand existe-t-il un quartier maghrébin, islamisé au Québec ? » Plus d’une centaine de personnes avaient confirmé leur présence à cette manifestation dimanche soir.
Parallèlement, d’autres groupes organisent eux aussi leur rassemblement, en riposte à celui de Pegida. Se réclamant du féminisme, de l’anarchisme, du communisme, de l’anti-fascisme ou plus généralement l’extrême gauche, ils promettent d’être présents samedi pour bloquer le chemin à Pegida.
Entre autodéfense et censure
« Le climat actuel qui règne au Québec n’est pas étranger [au] choix de Pegida [d’organiser ce rassemblement] », affirme le Front féministe prolétarien de Montréal, dans un communiqué diffusé au cours des derniers jours appelant à l’« auto-défense populaire ».
« Ce groupe sème la peur de l’autre, l’intolérance et, surtout, des mensonges, en prétendant que l’Europe serait présentement en plein processus d’islamisation et qu’il faut donc stopper la venue de l’immigration musulmane. » Qu’on soit d’accord ou non avec le voile, il faut défendre le droit des musulmans, disent-ils.
Dans une lettre envoyée au Devoir et publiée dans l’édition tablette et sur le site Internet du quotidien, les co-porte-parole de Québec solidaire, Françoise David et Andrés Fontecilla, s’interrogent pour leur part sur les mesures à prendre afin d’encadrer le groupuscule, dans le contexte actuel, « marqué par des inquiétudes légitimes » et une « montée de l’intolérance envers la communauté musulmane ». « Si la Ville de Montréal a pu refuser à l’imam Chaoui l’ouverture d’un local pour prêcher l’intolérance, pourquoi Pegida aurait-il la permission de manifester de manière provocante au coeur du petit Maghreb ? », écrivent-ils. Une question délicate, convient Françoise David en entrevue. De nombreux Montréalais se sont réjouis lorsque la Ville « s’est arrangée pour ne pas que l’imam Chaoui ouvre un local de prêche et de prière dans Hochelaga-Maisonneuve », admet-elle. « Si on était content que la Ville fasse ça pour l’imam, comment doit-elle se comporter ici ? J’espère que M. Coderre et la police vont se poser des questions. » Le Service de police de la Ville de Montréal a confirmé dimanche soir avoir cette activité à l’oeil, mais n’a pas offert davantage de détails sur sa présence samedi.
De nouveaux groupes xénophobes
Même s’ils se décrivent comme non violents, l’apparition de groupes comme Pegida et Ligue de défense juive (une organisation ultranationaliste) crée un malaise au sein de la classe politique québécoise, comme en témoignent les réactions depuis l’annonce de la création d’une section locale en janvier. Les rassemblements les plus courus de Pegida, en Allemagne, ont rassemblé près de 25 000 manifestants venus dénoncer la prétendue islamisation des pays occidentaux, au grand dam de la chancelière allemande, Angela Merkel.
Selon un sondage publié en janvier, 29 % des Allemands trouvent justifiées les préoccupations de Pegida. Dans ses voeux du Nouvel An, Mme Merkel avait d’ailleurs appelé ses concitoyens à rejeter le mouvement xénophobe. « Je dis à tous ceux qui vont à ces manifestations : ne suivez pas ceux qui appellent à y participer ! Car trop souvent, leurs coeurs sont remplis de préjugés, de froideur, voire de haine. »
Comme d’autres, la chancelière se dit troublée de l’utilisation par les manifestants de Pegida du slogan de la révolution de 1989, « nous sommes le peuple ». « En réalité, ils veulent dire : vous n’appartenez pas au peuple, à cause de la couleur de votre peau ou votre religion », a-t-elle déploré.


Les coporte-parole de QS, Françoise David et Andrés Fontecilla