Le féminisme conjugué au pluriel

Ce texte fait partie du cahier spécial Journée de la femme
Le 7e Congrès international des recherches féministes dans la Francophonie se tiendra du 24 au 28 août prochains à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Pendant cinq jours, l’événement rassemblera plus de 600 personnes venues des quatre coins de la Francophonie. On y discutera non pas du féminisme, mais des féminismes.
C’est sur le thème « Penser Créer Agir les féminismes » que se tiendra le Congrès. « On est presque surprises de l’attrait qu’a suscité le congrès. Pour le moment, on a reçu au-delà de 90 propositions de colloques », nous dit Francine Descarries, professeure au Département de sociologie de l’UQAM, qui est aussi directrice scientifique du Réseau québécois en études féministes, le RéQEF. Mais c’est à titre de membre du comité de planification et de coordination du congrès que Mme Descarries a accepté de répondre à nos questions. Même si pour l’instant la programmation finale n’est pas encore disponible, elle promet d’être du plus grand intérêt puisqu’on compte déjà 550 personnes inscrites à titre de communicatrices ou d’organisatrices d’événements.
Les études féministes rassemblent tous les genres disciplinaires ou théoriques de réflexion qui visent à transformer la condition des femmes dans la société ainsi que l’avancement scientifique des connaissances. Comme on peut le constater, la question est vaste et les manières de l’aborder sont nombreuses, mais ici, au Québec, nous le faisons de façon tout à fait distincte : « On ne conçoit pas la pensée féministe comme univoque. Ici, elle s’est développée avec une approche très dynamique entre la construction théorique et la construction artistique puisque plusieurs artistes féministes contribuent à notre réflexion. Mais la grande spécificité québécoise se situe dans l’articulation entre le milieu de la pratique et les universitaires, et ça, on y tient beaucoup. » Quand on y regarde de plus près, le congrès s’organisera selon trois axes thématiques qui reflètent cette spécificité.
La transmission des savoirs féministes
Historiquement, l’histoire des sciences s’est développée sans les femmes. Les études féministes introduisent une nouvelle perspective en tenant compte du point de vue des femmes. « Dans les années 1970, on a eu besoin de faits, de données sur les femmes. C’est l’époque des premières grandes études sur la participation des femmes sur le marché du travail. Ces études démontraient la place de femmes dans la société et les rôles qu’elles ont été obligées de jouer et ceux dont elles étaient exclues. Ensuite, on a fait une réflexion plus épistémologique, plus théorique sur l’androcentrisme de la science », rappelle Francine Descarries. Au fil des avancées scientifiques, l’analyse est devenue plus critique et c’est ce qu’on a nommé le féminisme radical. Un féminisme qu’il ne faut pas confondre avec l’image « des écervelées qui auraient brûlé leurs soutiens-gorge sur la place publique, ce qui relève de la légende urbaine ». Avec la transformation de la situation des femmes, « on s’est aperçu qu’il n’était plus suffisant de poser un regard univoque sur la vie des femmes et que les rapports de genres ne permettaient pas de donner toute l’explication. Depuis les années 1990, les études féministes se sont ouvertes à des regards plus holistiques et plus politiques aussi puisqu’aujourd’hui on parle d’intersectionnalité des rapports de pouvoir et des regards qui prennent en compte l’ensemble des facteurs sociaux qui affectent la vie des femmes ». À ce titre, les études féministes ont contribué à bousculer les paradigmes de la science.
Tout naturellement, on trouve comme premier axe thématique du congrès la contribution des recherches féministes de langue française à l’avancement des connaissances. Traditionnellement, la sociologie et l’anthropologie ont été les disciplines fondatrices des recherches féministes, mais aujourd’hui elles investissent tous les domaines de la science et du savoir, que ce soit dans l’espace scientifique, artistique ou militant. On cherchera donc à comprendre, entre autres, les liens entre théories, créations et pratiques. Mais on se questionnera aussi sur les résistances à la transmission des savoirs féministes, quelles sont-elles, comment se manifestent-elles et comment les dépasser. On s’efforcera de trouver comment mettre à profit la pluralité des études féministes et comment les recherches féministes font avancer différents savoirs ou pratiques historiques. Finalement, on posera la question des enjeux et des défis associés aux rapports entre les recherches féministes et la société civile, l’État et le gouvernement.
Les femmes à l’heure du néolibéralisme et de la globalisation
Parce que le monde est en ébullition, Changement social, égalité, justice et solidarité dans les contextes du néolibéralisme, du néocolonialisme et de la globalisation seront placés sur le second axe du Congrès. « Quand on regarde ce qui se passe ici même au Québec avec le dossier des garderies et dans le monde de l’éducation, on a l’impression qu’on est tiré vers l’arrière, et ce que nous révèle le moment actuel, c’est qu’il n’y a aucune avancée faite par les femmes qui est totalement acquise. »
Depuis une vingtaine d’années, il s’est développé ce qu’on appelle les études postcoloniales : « On a commencé à regarder les effets Nord-Sud sur la vie des femmes, pour s’apercevoir qu’ils sont à double tranchant ; les femmes du Nord ont perdu des emplois à cause de l’exploitation des femmes du Sud et, dans une certaine mesure, le Nord exploite la division sexuelle du travail pour finalement faire des profits sur le dos des femmes. » Au congrès, on tentera de mettre au jour les mécanismes par lesquels nos sociétés produisent et reproduisent de l’inclusion et de l’exclusion, en partant du principe selon lequel le racisme, le sexisme, l’homophobie et les rapports de domination entre catégories sociales ne peuvent pas être entièrement expliqués s’ils sont étudiés séparément. Et bien sûr sera aussi abordée la question du comment s’organise la division sexuelle du travail sur les plans local et international.
Le féminisme multiple
Les féminismes d’aujourd’hui ne ressemblent pas au féminisme d’hier, et c’est pourquoi Pratiques féministes, militantisme et mouvement des femmes représentent le troisième axe de réflexion. Les nouveaux médias, Internet et les réseaux sociaux sont venus transformer le militantisme féministe et sont aujourd’hui des outils incontournables au mouvement des femmes. Comment les différents mouvements féministes se mobilisent-ils, se mettent-ils en réseau, se consolident-ils ? Comment les féministes utilisent-elles Internet et les médias sociaux pour actualiser leurs stratégies de lutte, de résistance et de mobilisation ? Quelles représentations des femmes sont privilégiées dans les espaces publics et symboliques ? Et plus spécifiquement, quelles représentations des féministes les groupes militants privilégient-ils dans leur matériel ? Voilà quelques-unes des questions auxquelles le congrès tentera de répondre.
« Le Québec peut se targuer d’avoir un mouvement de femmes très fort. On a voulu que la pensée féministe émane de la pratique et, dans ce sens, on a eu des féministes avant même que n’existe le féminisme. Mais le militantisme aura toujours sa place et on a encore et toujours besoin de la vigilance du féminisme et des études féministes. »
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