Les dernières paroles de Raymond Gravel

Raymond Gravel a appris qu’il avait un cancer du poumon incurable en août 2013.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Raymond Gravel a appris qu’il avait un cancer du poumon incurable en août 2013.

Quelques jours avant la parution de Raymond Gravel. Le dernier combat, du journaliste Carl Marchand, des proches du regretté prêtre ont tenu à me mettre en garde contre cet ouvrage. L’auteur, m’a-t-on dit, y révélait des secrets d’alcôve et avait profité de l’état de faiblesse de Gravel, dans ses derniers moments, pour lui soutirer des déclarations inconvenantes. Je m’attendais donc au pire, surtout que cet ouvrage, d’abord annoncé chez VLB, s’il faut en croire certains sites de librairies numériques, paraît finalement aux Éditions du CRAM. Le premier éditeur aurait-il reculé devant le contenu sulfureux du manuscrit?

Raymond Gravel a appris qu’il avait un cancer du poumon incurable en août 2013. Il n’avait que 60 ans, mais presque 50 ans de tabagisme l’exposaient à une telle éventualité. Marchand, alors journaliste pour La Presse, lui propose de l’accompagner dans cette épreuve, afin d’en tirer des reportages. Gravel, animé sa vie durant par une « soif de communiquer », accepte. Marchand suivra donc le prêtre malade d’octobre 2013 jusqu’à sa mort, le 11 août 2014. À partir de juin, le journaliste ne travaille plus pour La Presse, mais continue néanmoins à rencontrer Gravel.

Un long reportage

 

Dans l’ensemble, le résultat est un long reportage plutôt sobre, dans lequel sont rapportées les réflexions de l’abbé sur son épreuve et sur la mort. Refusant l’idée d’une souffrance salvatrice — « Dieu ne veut pas nous écraser », dit-il —, Gravel, qui a espéré guérir presque jusqu’à la fin, confie à Marchand sa peur de la souffrance, d’où son appui à l’aide médicale à mourir, et témoigne de sa foi en la résurrection, mais reconnaît n’avoir aucune certitude à cet égard. Ses grandes prises de position — pour le mariage civil gai, pour l’ordination des femmes, pour une interprétation rationaliste des textes bibliques, contre le célibat des prêtres et pour l’indépendance du Québec — sont aussi rappelées.

L’affaire se corse un peu quand Gravel évoque son enfance dans un milieu familial rude, qu’il a quitté à 16 ans, ses expériences de prostitution homosexuelle et sa vie de barman toxicomane, qui ont précédé sa décision de devenir prêtre, à la fin des années 1970. Le récit est légèrement épicé, mais Gravel n’en a jamais fait mystère.

Les éléments plus épineux, qui expliquent les craintes des proches de Gravel, sont les suivants. Le prêtre, dans les dernières années de sa vie, avait pour collaborateur privilégié un musulman d’origine turque. Marchand soupçonne que les deux amis formaient un couple d’amoureux. Il finira par conclure que « la relation qui unissait ces deux personnes ne regarde qu’elles et je n’ai pas à la comprendre ». Fallait-il, alors, en parler? La nature du projet de Marchand, acceptée par Gravel, l’exigeait, il me semble.

Autre élément embarrassant : l’affirmation du prêtre selon laquelle le crime de Guy Turcotte, qu’il a rencontré, serait lié à son orientation homosexuelle refoulée. Périlleuse et mal fondée, cette hypothèse, formulée par un homme à l’esprit engourdi par les médicaments, aurait dû rester du domaine privé. Il reste que Raymond Gravel, c’était aussi ça : des jugements à l’emporte-pièce aux assises parfois fragiles.

Ce livre, en ce sens, ne le trahit pas. Reportage ponctuel qui rend bien l’atmosphère des derniers mois de l’abbé original, il ne fait pas le tour du personnage — pour cela, on lira, très bientôt, la biographie que prépare le journaliste Claude Gravel —, mais il rend justice à ce prêtre pour qui, selon les mots de son ami l’abbé Pierre-Gervais Majeau, « ce qui importait, ce n’était pas le dogme, mais la foi évangélique, la promotion des valeurs chrétiennes ».



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