L’enquête du coroner révèle des faits préoccupants

Il brandissait son marteau, sans égard aux ordres des policiers, en disant à qui voulait l’entendre : « Tire-moi. » Alain Magloire a couru au-devant du destin, le 3 février 2014.
Après quatre jours d’audiences, il est encore trop tôt pour tirer des conclusions définitives à l’enquête du coroner Luc Malouin. Mais quelques éléments de réponse, troublants, s’imposent d’emblée.
Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a tiré des leçons de la précédente enquête, celle sur la mort du jeune Fredy Villanueva, abattu par le policier Jean-Loup Lapointe à Montréal-Nord en août 2008.
Cette fois, les policiers impliqués dans l’intervention ont été séparés dès que M. Magloire a été atteint de quatre balles par l’agent Mathieu Brassard. Ils n’ont pas pu se consulter, ce qui a minimisé le risque de contamination de leurs témoignages.
Cette fois, les policiers n’ont pas eu d’aide pour rédiger leurs rapports d’événement. Ils y sont allés au meilleur de leurs souvenirs, sans notes personnelles, avec le risque de produire des récits incompatibles avec le fil des événements.
Le coroner Malouin a d’ores et déjà indiqué qu’il n’accordait pas une grande crédibilité à la déclaration du policier Brassard. Dans ses écrits, il fait une narration des événements qui est incompatible avec la vidéo de surveillance, d’une piètre qualité, sur laquelle sont immortalisés les derniers moments d’Alain Magloire.
Il n’y a pas de coup monté dans cette affaire. L’agent Brassard s’est seulement trompé dans la séquence des événements, qui durent environ cinq minutes dans son cas (et neuf minutes au total).
Douze minutes
Vers 10 h 53, les policiers Jeanne Bruneau et Alex Campeau repèrent Alain Magloire dans la rue Saint-Denis, à la suite d’un appel fait au 911.
Le sans-abri est déjà dans sa bulle, en crise. Dès les premiers instants, la policière Bruneau craint d’être tuée par M. Magloire, qui s’avance vers elle, en brandissant son marteau, pour la frapper au visage.
« Il me regardait et il s’enlignait vers moi. À ce moment-là, je pensais mourir », a-t-elle raconté.
Elle dégaine son arme. Le doigt sur la détente, elle hurle au sans-abri de reculer. M. Magloire recule d’un pas, et poursuit son chemin, toujours avec son marteau en main.
Jusqu’à 10 h 57, les deux patrouilleurs suivent Alain Magloire à pied, en gardant une distance sécuritaire. À plus d’une reprise, ils lui demandent de lâcher son marteau. L’homme de 41 ans ne veut rien entendre et répète : « Tire-moi, je m’en fous. »
À 10 h 57, Alain Magloire est encerclé par les policiers dans la rue Berri, juste en face de la gare d’autocars. Il dépose ses sacs à dos, et il avance et recule en direction des policiers, toujours avec son marteau.
Les policiers se sentent tous menacés. Par son attitude, Alain Magloire leur donne l’impression qu’il est sur le point d’attaquer. Ils s’estiment en droit de faire feu pour mettre fin à la menace.
Curieusement, aucun des quatre policiers entendus cette semaine ne se souvient des paroles prononcées par qui que ce soit dans ces instants critiques.
À 10 h 58, tout bascule. Le policier Denis Côté (le héros qui a empêché un massacre lors de la fusillade au collège Dawson) fonce avec sa voiture de patrouille sur Alain Magloire.
Les images sont saccadées. Impossible d’évaluer avec certitude sa vitesse. Le coroner Malouin a cependant indiqué que le corps d’Alain Magloire ne présentait aucune blessure interne ou externe aux jambes, en se fiant au rapport d’autopsie.
Denis Côté aura beaucoup de choses à expliquer, mardi lors de son témoignage. Sa manoeuvre de diversion n’est pas enseignée à l’École nationale de police. Et avant de foncer sur M. Magloire, il n’avertit personne de ses intentions sur les ondes radio.
Sa précipitation est d’autant plus discutable qu’un policier équipé d’une arme à impulsion électrique (un Taser) est à quelques secondes d’arriver sur les lieux du drame.
La manoeuvre de Denis Côté donne un résultat désastreux et fait basculer l’intervention, jusque-là bien gérée, dans la tragédie.
Alain Magloire est projeté sur le capot. L’agent Pascal Joly en profite pour tenter de le maîtriser, mais il rate son coup. Il se retrouve étendu au sol, en position de grande vulnérabilité.
De son côté, Alain Magloire retombe sur ses pieds, et il lève son marteau au-dessus de la tête de Pascal Joly. « J’ai la conviction profonde que la vie de l’agent Joly est en danger et que l’action de M. Magloire est de vouloir le frapper à la tête, a relaté Mathieu Brassard. J’ai fait feu le plus rapidement possible parce que c’était une question de vie ou de mort. »
Dans ces circonstances, la décision du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) de ne porter aucune accusation contre le policier Brassard est compréhensible.
La manoeuvre du policier Côté ne relevait pas non plus du droit criminel, même s’il a fait preuve d’une témérité aux conséquences funestes.
Il est venu mettre de l’huile sur un feu nommé Magloire. Un feu que les policiers auraient probablement réussi à contenir à l’arrivée du Taser.
Quelques secondes de plus et Alain Magloire serait peut-être des nôtres aujourd’hui. Le coeur de l’enquête est là.