«Cols bruns» au travail

Les pelleteurs itinérants Tony, Patrick, Michel et Gilles ont répondu présents à l’appel du conseiller indépendant Pierre Anthian, qui juge que les cols bleus de Laval en font trop peu.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Les pelleteurs itinérants Tony, Patrick, Michel et Gilles ont répondu présents à l’appel du conseiller indépendant Pierre Anthian, qui juge que les cols bleus de Laval en font trop peu.

Armés de pics et des pelles, c’est le sourire aux lèvres que ces quatre hommes de la rue ont répondu à l’appel du conseiller municipal Pierre Anthian. Découragé du travail des cols bleus de Laval, l’élu, qui est aussi fondateur de l’ex-chorale de l’Accueil Bonneau, a invité ses « cols bruns », comme ils se surnomment, à déneiger des chemins utilisés par les citoyens pour se rendre aux stations de métro.

« Ces sentiers tout glacés… Ce sont des laissés-pour-compte, comme nous ! », s’exclame Michel. Emmitouflé dans un manteau violet, l’homme dans la soixantaine affirme être un habitué de la neige, de la glace et des grands froids. « Quand Pierre m’a contacté, je n’ai pas hésité. Ça me chauffe le coeur de donner un coup de main », confie-t-il, lui qui a passé 12 ans dans la rue avant de retrouver un logement.

« C’est à la fois paradoxal et formidable de voir des hommes sans-abri déglacer le chemin pour aider les travailleurs à se rendre au métro. Ça témoigne tout de même que la Ville de Laval doit mieux s’occuper de ses piétons. Et c’est le message que je veux faire passer », déclare Pierre Anthian. Bien que son initiative puisse être perçue par l’administration comme un geste d’arrogance, le conseiller municipal de Laval-des-Rapides se dit heureux d’organiser « un déneigement social » pour une seconde fois cet hiver. Au mois de décembre, il avait aussi appelé des hommes pour déneiger quelques passages utilisés selon lui par des milliers de personnes chaque jour. M. Anthian, dont le salaire se chiffre à 45 000 $, a tenu à payer 12 $ l’heure les pelleteurs, et puise leurs salaires à même son budget familial.

À ses côtés, Patrick et Tony brisent bruyamment la glace. « Je suis content d’être payé, mais je l’aurais tout de même fait gratuitement. Je reçois tellement d’aide, je sens que j’ai une dette envers la société », témoigne Tony, avec un bel accent roumain. Ancien camionneur, ce père de famille a vécu un accident tragique qui a chamboulé sa vie. Aujourd’hui encore, il est dans la rue. « Je me reconstruis tranquillement. Je n’avais plus rien. Une chance que Patrick et Michel sont là », dit-il. Comme ses camarades de pelle, Tony a rencontré Pierre Anthian à la chorale de l’Accueil Bonneau.

Désapprobation de la Ville

 

La Ville de Laval n’a pas tardé à réagir au projet du conseiller Anthian. En entrevue au Devoir, la porte-parole Nadine Lussier argue que les opérations de déneigement de la Ville doivent être coordonnées, et si un conseiller prend des initiatives ponctuelles, cela pourrait être contre-productif. « Nos cols bleus ne sont pas enchaînés à leurs camions, plusieurs pellettent manuellement des chemins. Nous sommes prêts à aviser si certaines zones méritent leur attention. »

« Nous comprenons que l’initiative de M. Anthian repose sur de belles intentions, mais c’est une fausse bonne idée », poursuit-elle. Il est à son avis imprudent d’embaucher des travailleurs qui ne sont pas assurés en cas d’accident.

« Moi je m’en fous d’être assuré. J’aide les gens comme je peux, et déglacer un chemin, ça évite à plein de personnes de se blesser, justement », lance le pelleteur Patrick, qui participe pour une seconde fois à l’opération de Pierre Anthian. Cette fois-ci, l’équipe s’est attaquée à un chemin situé entre la clôture du cégep Montmorency et le métro du même nom, ainsi qu’à un escalier glacé menant à la station de la Concorde. Les « cols bruns » ont aussi accepté un contrat privé, lorsque sur leur chemin une garderie leur a demandé de déblayer une allée enneigée qui bloquait l’accès au parc du quartier.

Faire vibrer le temple lavallois

 

Le conseiller Anthian s’étonne d’entendre la porte-parole de la Ville affirmer que les cols bleus peuvent se consacrer aux petits chemins. « Je n’ai pas du tout eu droit à ce genre de commentaires lorsque j’ai abordé le problème du déneigement des passages piétons avec le directeur général, Serge Lamontagne, il m’a carrément ri au nez », déclare-t-il. Il explique que le d.g. lui aurait déclaré que « ce n’est pas si facile » de s’occuper de tous les petits sentiers utilisés par les citoyens et qu’il faut privilégier les grandes artères, balayant du revers de la main la demande du conseiller d’impliquer plus de cols bleus dans le déneigement manuel de certains passages négligés.

« Il y a une vieille culture de la voiture qui règne à Laval et elle persiste malgré la nouvelle administration, c’est désolant », dit-il, espérant que l’attention médiatique entourant les pelleteurs itinérants pressera les dirigeants lavallois à changer leurs façons de faire. « C’est certain que ce genre d’initiative fait trembler les colonnes du temple lavallois, mais c’est justement là mon intention : il faut que les choses bougent ! » s’exclame-t-il. Le 30 septembre dernier, M. Anthian a décidé de quitter le parti Mouvement lavallois du maire Marc Demers. Il s’est trop souvent senti « muselé, contrôlé, refréné » par son parti. « Dès qu’on a des idées qui sortent des sentiers battus, on nous fait comprendre qu’il n’y a pas de place pour cela. Qu’il vaut mieux se taire et respecter la ligne de parti », lâche-t-il.

Le conseiller se dit très déçu du maire Demers, pour lequel il « avait » une haute estime. Il lui reproche notamment de limiter la prise de décisions aux membres du comité exécutif et de trop peu consulter les autres élus de la formation.

Il rappelle qu’en novembre, le conseiller de l’Orée-des-Bois, Alain Lecompte, a lui aussi claqué la porte du parti. M. Anthian estime que d’autres conseillers considèrent l’idée de démissionner, frustrés de ne jamais être consultés. « J’espère qu’avec l’événement d’aujourd’hui, en plus de nos déclarations publiques, l’administration va se réveiller et, enfin, se soucier de servir correctement ses citoyens, tant en déneigeant les trottoirs qu’en prenant des décisions concertées et connectées à la réalité », conclut-il.

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