Vivre avec la peur de l’éviction

La rue Ontario déploie ses nombreux paradoxes sur 6,1 km, dans le sud de Montréal. Longtemps, cette rue unique a agi comme une barrière entre riches et pauvres. «Sur Ontario», série et webdocumentaire en quatre étapes, va à la rencontre de ceux et celles qui en ont fait leur lieu de résidence, de lutte ou d’expérimentation sociale. Notre dernier volet aborde l’embourgeoisement dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve.
 

Depuis l’éviction du complexe des Lofts Moreau, ancienne usine occupée par des artistes de tout genre située à l’angles des rues Ontario et Moreau, une faction de la communauté artistique d’Hochelaga-Maisonneuve se désole de l’érosion des logements alternatifs dans le quartier. C’est le cas de Claude Periard, artiste multidisciplinaire qui habite L’Achoppe, un immeuble collectif où vivent 13 personnes, situé à l’angles des rues Lafontaine et Létourneux, dans Hochelaga-Maisonneuve.

L’Achoppe organise des événements culturels, comme des cabarets et des lectures de poésie, ou encore à vocation politique, comme des débats et des soirées d’information sur différents enjeux. La résidence héberge des ateliers pour les artistes, un local de répétition pour les musiciens et un jardin commun. Chacun a son espace au sein de l’immeuble, mais la cuisine, la nourriture et le rez-de-chaussée sont partagés. « Il n’y a pas une seule idéologie qui domine, et il y a des personnes très différentes à L’Achoppe, explique la jeune femme. Mais nous partageons tous des valeurs anticapitalistes, féministes, et plusieurs s’identifient comme queer. Bref, les résidents de L’Achoppe sont tous dans la lutte anti-oppression. »

L’immobilier à blâmer

Avec l’apparition de plus en plus fréquente de nouveaux commerces qui s’adressent à un public plus aisé, Claude dit avoir peur que l’immeuble de L’Achoppe soit vendu. « Les immeubles un peu vieux, grands et pas trop entretenus, ce sont des mines d’or pour les investisseurs. C’est facile de les acheter à bas prix et d’en faire des condos. » Claude a déjà été évincée de deux logements collectifs selon cette logique. « C’est menaçant pour tous les gens qui vivent avec un faible revenu, ajoute Claude Periard. Dans cet immeuble, on est tous pauvres. On n’a pas les moyens d’aller dans les nouveaux petits restos et les épiceries fines. » En filigrane, l’impression de voir lentement disparaître une façon de vivre différente, égalitaire, artistique et communautaire. Depuis le démantèlement des Lofts Moreau, L’Achoppe est le dernier espace de logement alternatif qui subsiste dans Hochelaga-Maisonneuve, affirme Mme Periard. Elle croit que la vente à un promoteur immobilier détruirait la communauté qui vit dans L’Achoppe. « On ne croit pas pouvoir trouver un autre espace comme celui-là, dit-elle. Il nous faut de la place pour nos ateliers de travail du bois, de réparation de vélo, de sérigraphie… Si on se fait évincer de là, ce sera chacun dans son quatre et demi. »

Malgré ses craintes, Claude garde espoir. « Dans les Lofts Moreau, il y avait beaucoup de choses qui n’étaient pas conformes aux normes de sécurité de la Ville. Nous avons fait faire une inspection à L’Achoppe par la Ville et tout semble correct. »

Pour l’instant, l’espace n’est pas directement menacé. Mais par mesure de protection, les membres s’informent sur les différentes façons de pérenniser leur présence à L’Achoppe. « On essaie de voir comment on pourrait, idéalement, ne plus avoir de propriétaire. Pour créer une coop, la législation est super stricte. Notre filon serait de s’enregistrer comme OBNL. Pour l’instant, on sent qu’on a toujours une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes. »

 



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