Une montagne pour château d’eau

La métropole québécoise est une des seules villes du monde à ne pas compter de château d’eau. Qu’à cela ne tienne, le mont Royal en tient lieu. Avec ses six réservoirs, il abrite une hydrographie aussi généreuse que peu connue.
« L’eau est pompée dans le Saint-Laurent, elle est traitée, nettoyée et amenée sur la montagne dans de grands réservoirs qui permettent de maintenir les pressions et débits dans le réseau d’eau, comme un château d’eau », explique Jean-Michel Villanove, responsable des services éducatifs des Amis de la montagne.
Une des deux randonnées offertes chaque année par l’association prend l’eau pour thème, en partant de la montagne pour se rendre, à pied, jusqu’au fleuve dans le Vieux-Port.
« On retrouve partout ce lien de l’eau, entre fleuve et montagne. C’est un fil conducteur » de tout le développement de Montréal, souligne M. Villanove en montrant, plus tard au cours de la promenade, la récurrence du fleuve dans la collection de toiles exposées sur les murs du chalet racontant l’histoire de la colonie française. Gravir le mont Royal pour admirer le Saint-Laurent ne demeure-t-il pas un pèlerinage urbain par excellence tant pour les citoyens que les touristes ?
Sous les Tropiques
L’origine du mont Royal elle-même porte la trace de l’eau, signale notre guide en attirant notre regard sur de petits reliefs striés dans les pierres qui façonnent les murs du chalet du belvédère. Des coquillages !
« Il y a aussi du corail et des vers fouisseurs tubulaires, dit-il. Il y a 450 millions d’années, ce qui va devenir la région de Montréal se trouvait sous les tropiques, recouvert d’une mer peu profonde et chaude, partie de l’océan Iapétus ». Les fossiles imprimés dans les roches sédimentées ont été charriés jusqu’ici par le mouvement de plaques tectoniques.
Autre source maritime de certains coquillages : la mer de Champlain, ancêtre de notre fleuve, qui recouvrait le territoire il y a 13 000 ans pour ne laisser poindre que le sommet le mont Royal.
« Ce sont des liens insoupçonnés qui ont une valeur très forte dans la compréhension de la montagne », souligne le guide.
Riviève-métaphore
Derrière le chalet du mont Royal, un muret de pierre bordant un sentier semble anodin. En fait, il protège le lit de l’un des ruisseaux formés par la pluie et la fonte des neiges. Plus bas, cette eau se fait marécage sur presque un demi-hectare.
« C’est un milieu très important pour le mont royal et sa biodiversité, indique M. Villanove. Très riche en faune, en flore, c’est une des seules zones humides permanentes, naturelles. »
Torrentiels au printemps, ces ruisseaux ont alimenté les autochtones puis les premiers colons. Ils se déversaient alors dans des rivières aujourd’hui devenues canalisations ensevelies sous la ville.
Ces filons d’eau resurgissent métaphoriquement lorsque la promenade s’enfonce dans la ville, dans ses strates d’histoire en s’attardant à quelques fontaines emblématiques. On y revisite ainsi tous les « centres-villes » qu’a connus Montréal. La fontaine du campus de l’Université McGill fait traverser le Golden Square Mile, où migrent les bourgeois anglais de la fin du XIXe siècle, tandis que celle de la place Ville-Marie témoigne de l’urbanité moderne du XXe siècle.
Entre le magnifique bassin-fontaine du Centre du commerce mondial et la fontaine sculpture de la place Jean-Paul-Riopelle, un corridor souterrain décoré de blanc et bleu évoque l’ancienne rivière Saint-François.
« On suit exactement l’ancien tracé de la rivière et des fortifications », dit notre guide.
Enfin, au Vieux-Port s’étend le fleuve, voie d’eau magistrale par laquelle tout a commencé. Et la boucle est bouclée.
Les randonnées du 5 et du 18 octobre portent sur Les trois sommets du mont Royal. La randonnée De la montagne au fleuve reviendra au printemps.
Un réseau d’eau potable majeur
Le mont Royal et sa périphérie comptent six réservoirs. L’ensemble du réseau de production et de distribution d’eau potable de Montréal (14 réservoirs) est parmi les plus importants en Amérique du Nord.Sous les antennes, le réservoir de la Montagne (900 000 litres) et, plus bas, le réservoir du Sommet (14 millions de litres) desservent les bâtiments du mont Royal.
Le réservoir de Châteaufort (210 millions de litres) dessert les résidences du nord de l’île.
Le réservoir Côte-des-Neiges alimente la périphérie inférieure du mont Royal (32 millions de litres). Le réservoir Vincent-d’Indy dessert la partie centrale de l’île (196 millions de litres). Construit en 1854, le réservoir McTavish contient 148 millions de litres d’eau (60 piscines olympiques). Il était à ciel ouvert jusqu’en 1947. Il dessert les résidences du sud-est de la ville.
Alors que se poursuivent les travaux, des géologues, dont Jean-Michel Villanove, on a pu retracer l’histoire de ce lac artificiel, creusé à même une cuvette naturelle. « On a trouvé des morceaux de bois rongés par les castors [comme ceux qui lui ont donné son nom] et, cette fois, on a pu faire des tas de datations au carbone 14, dit-il. On a trouvé que le lac date de quelque 12 000 ans, donc tout de suite après le retrait de la mer de Champlain. »