La Haute-Normandie se tourne vers le Québec pour contrer le décrochage

Émilie Corriveau Collaboration spéciale
Le spécialiste en prévention du décrochage scolaire et professeur-chercheur à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal a participé à l’implantation du Check and Connect dans trois commissions scolaires du Québec.
Photo: Université de Montréal Le spécialiste en prévention du décrochage scolaire et professeur-chercheur à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal a participé à l’implantation du Check and Connect dans trois commissions scolaires du Québec.

Ce texte fait partie du cahier spécial Francophonie 2014

Chaque année, en France, près de 150 000 jeunes quittent le système scolaire sans qualification. Dans le but de diminuer son taux de décrochage, l’Académie de Rouen travaille actuellement en étroite collaboration avec des chercheurs québécois à la mise en place d’une version française du programme de prévention Check and Connect.

Développé au tournant des années 1990 à l’Université du Minnesota, le programme Check and Connect a été conçu pour réduire le décrochage scolaire chez les jeunes adolescents. Visant l’accroissement de l’engagement des élèves envers l’apprentissage scolaire, il repose en partie sur la promotion des résultats positifs. Plus spécifiquement, il s’articule autour de quatre composantes, soit l’accompagnement par un mentor de groupes ciblés, le suivi étroit des présences et des performances de tous les élèves inscrits au programme, l’apport d’un soutien personnalisé aux jeunes dont les risques de décrochage ont été dépistés et, finalement, l’amélioration de la communication entre l’école et la famille, ce qui permet de renforcer les interventions réalisées en milieu scolaire.

« Ce programme-là a été mis en place dans plusieurs écoles de milieux défavorisés aux États-Unis. Ça a été un des premiers programmes du genre à être évalué de façon rigoureuse au plan scientifique et à vraiment faire ses preuves », explique M. Michel Janosz, spécialiste en prévention du décrochage scolaire, professeur-chercheur à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal et directeur du Groupe de recherche sur les environnements scolaires.

Constatant le succès remporté par le Check and Connect chez nos voisins du Sud, M. Janosz a décidé il y a quelques années de s’intéresser de plus près au programme. « Ma collègue Isabelle Archambault et moi étions à la recherche de programmes de prévention efficaces dont le Québec pourrait faire la promotion de façon systématique. Nous ne voulions pas réinventer la roue ; nous cherchions à savoir qui, ailleurs, avait fait des démonstrations de programmes d’intervention qu’on pourrait penser importer dans notre système éducatif. C’est comme ça qu’on s’est intéressé au Check and Connect, comme d’autres chercheurs québécois l’ont fait parallèlement à nous. Aussi, depuis cinq ans, on travaille à adapter le programme au Québec et à l’évaluer rigoureusement », indique-t-il.

Pour ce faire, M. Janosz et son équipe ont implanté le Check and Connect dans trois commissions scolaires de la province. Plutôt que de tester ce dernier dans un cadre optimal, comme les scientifiques ont l’habitude de le faire, les chercheurs ont décidé de l’appliquer dans des conditions plus sévères.

« On a voulu vérifier si, avec un minimum de formation et en laissant les écoles implanter le programme avec leur expertise actuelle, donc dans des situations très naturelles d’intégration, le Check and Connect donnerait tout de même des résultats intéressants », précise M. Janosz.

D’après le chercheur, même si cette expérimentation n’a pas encore permis d’obtenir des résultats statistiques probants en matière de décrochage, elle s’est tout de même avérée concluante aux plans de la réduction des problèmes de comportement éprouvés par les jeunes, de l’amélioration de leur motivation et de la consolidation de leurs rapports avec les adultes. « Notre constat, c’est que cette intervention a assurément quelque chose de positif à apporter », dit M. Janosz.

Du Québec à l’Académie de Rouen

Mise au parfum de cette expérimentation alors qu’elle travaillait à l’organisation d’un colloque sur la persévérance scolaire dans le cadre des 26e Entretiens Jacques-Cartier, Mme Claudine Schmidt-Lainé, rectrice de l’Académie de Rouen, en France, s’est montrée très intéressée par le travail de M. Janosz et ses collègues.

« Il faut savoir qu’il y a en France un foisonnement d’expérimentations éducatives, mais qu’elles sont rarement réalisées selon des démarches scientifiques. On a à peu près autant d’expérimentations que d’écoles, ce qui fait qu’il est difficile de comparer les propositions et qu’on n’arrive pas à les mutualiser. Grâce aux Entretiens, j’ai su qu’au Québec, on travaillait sur la persévérance scolaire en employant une méthode de recherche-action. Je suis sortie du colloque avec le désir de ne pas en rester là et l’idée d’implanter chez nous, d’abord sur un modèle expérimental cadré sur certains types de collèges dans lesquels on sait qu’il peut y avoir des difficultés, la méthode testée au Québec », note la rectrice.

Ainsi, au cours de la dernière année, Mme Schmidt-Lainé et M. Janosz ont travaillé à jeter les bases nécessaires à l’implantation de la version française du programme Check and Connect dans quatre collèges de Haute-Normandie. Des structures éducatives favorables à l’expérimentation ont été repérées et un calendrier de réalisation a été déterminé, si bien que dès le 13 octobre, plusieurs travailleurs de l’Académie de Rouen entameront une formation avec M. Janosz pour pouvoir appliquer dès l’an prochain le programme, rebaptisé Motiv’action.

Si Mme Schmidt-Lainé se dit confiante du potentiel de réussite de l’expérimentation, elle relève tout de même que certaines différences culturelles risquent de contrarier l’implantation du programme en France. Par exemple, elle souligne que si en Amérique du Nord, il est très bien établi que la relation entre la famille et l’école s’avère un des éléments clés de la persévérance scolaire des enfants, en France, cette notion reste à travailler.

« C’est la même chose pour le repérage des enfants potentiellement décrocheurs. C’est une des clés du Check and Connect, mais ce n’est pas une pratique particulièrement bien vue ici. En France, plusieurs reconnaissent qu’il existe certaines populations plus à risque, mais ils préfèrent ne pas les repérer avant qu’elles ne démontrent de problème concret, de peur de les stigmatiser. »

M. Janosz abonde dans le même sens que la rectrice. « Ce n’est pas parce qu’on parle français des deux côtés de l’océan que les mots ont la même résonance et qu’on pense de la même façon. C’est pourquoi nous avons décidé de consacrer une année à valider nos façons de communiquer, à vérifier qu’on est bien compris et à s’assurer que l’ouverture à nos pratiques est bien présente sur le plancher. Puis, au cours des deux années qui suivront, on sera en processus d’expérimentation. On ne déploiera pas le programme avant de vérifier que les bonnes conditions sont réunies pour qu’il fonctionne. »

Avant de concentrer leurs efforts en France, M. Janosz et Mme Schmidt-Lainé se retrouveront les 2 et 3 octobre à Montréal dans le cadre des 27e Entretiens Jacques-Cartier. En compagnie de plusieurs spécialistes du milieu de l’éducation, ils réfléchiront à la problématique du décrochage dans le cadre d’un colloque intitulé Persévérance scolaire : les conditions pour déployer les meilleures pratiques.

Ce contenu spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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