Penser à la fois le territoire et le transport

André Lavoie Collaboration spéciale
Dominique Mignot, directeur adjoint à l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (Ifsttar), à Lyon, estime que le quartier Confluence est une des grandes réussites lyonnaises en aménagement.
Photo: Jean-Philippe Ksiazek Agence France-Presse Dominique Mignot, directeur adjoint à l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (Ifsttar), à Lyon, estime que le quartier Confluence est une des grandes réussites lyonnaises en aménagement.

Ce texte fait partie du cahier spécial Francophonie 2014

Pendant trop longtemps a régné le « travail en silo » : chacun bricole sa vision du paysage, de la ville et des transports. Les résultats ? Pas toujours heureux, comme en témoignent ces autoroutes qui défigurent les cités, ces banlieues lointaines mal desservies par les transports collectifs, ou encore ce flot incessant de voitures traversant des quartiers densément peuplés.

La question d’un dialogue nécessaire entre l’aménagement du territoire et la planification du transport fait de nouveau l’objet d’un colloque à l’occasion des Entretiens Jacques-Cartier. Dans cet espace de discussions et de réflexions intitulé Intégration urbanisme/transport et mobilité : nouveaux projets, nouveaux outils, qui se tiendra les 6 et 7 octobre prochains, peu d’intervenants viendront vanter le travail en silo. L’heure est à la mise en commun des expertises.

Parmi les membres du comité scientifique de ce colloque, deux sont particulièrement convaincus des bienfaits de cette approche. Ludwig Desjardins, chef de la planification stratégique au programme d’immobilisations et dossiers d’affaires de l’Agence métropolitaine de transport (AMT) de Montréal, souhaite que « tout le monde rame dans le même sens », tandis que Dominique Mignot, directeur adjoint à l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (Ifsttar) à Lyon, espère voir un jour la fin des « contradictions totales ».

Des deux côtés de l’Atlantique, celles-ci ne manquent pas. « À Paris, déplore Dominique Mignot, on veut doubler le quartier des affaires de La Défense alors que le système de transport collectif RER et métro est saturé. Et ce n’est pas la première fois qu’on décide d’installer quelque part une entreprise ou un centre d’affaires, et qu’ensuite seulement se pose la question du transport… »

Partisan de l’approche TOD (transit-oriented developement), « celle de développer en même temps des projets d’urbanisme et de transport, et non pas de les subir », Dominique Mignot rappelle à quel point on part de loin. « Dans le plan de déplacement urbain de Lyon déposé dans les années 1990, sur 30 pages, 29 étaient une ode au développement du transport collectif, et la dernière, c’était la liste de tous les projets routiers et autoroutiers qu’il fallait faire dans l’agglomération. » Il rappelle toutefois qu’après Paris, Lyon est la deuxième ville de France où l’offre de transport collectif est la meilleure, résultat d’une « politique volontariste » et qui doit beaucoup aux « pressions des groupes environnementaux et des citoyens ».

Parmi les grandes réussites lyonnaises, Dominique Mignot cite en exemple l’aménagement du quartier Confluences dominé par l’imposant et futuriste Musée des Confluences. « Situé entre le [fleuve] Rhône et la [rivière] Saône, au sud de la gare de Lyon-Perrache, il n’y avait que des camions et des entrepôts dans cette zone. Tout a été réfléchi et transformé en l’espace d’une quinzaine d’années. Le transport collectif domine et on a conçu une véritable politique de développement du quartier : bâtiments à haute qualité environnementale, logements sociaux de qualité, etc. C’est un véritable quartier modèle, où la desserte et la construction ont été conçues en même temps. »

Ces réussites nécessitent beaucoup de concertation, et beaucoup de temps. C’est aussi l’avis de Ludwig Desjardins, lui qui va prononcer une conférence sur l’arrimage entre l’aménagement urbain et le transport dans le cadre du prolongement du métro de Montréal. Les usagers des lignes bleue et jaune en savent quelque chose !

« Le Plan métropolitain d’aménagement et de développement (PMAD) de la Communauté métropolitaine de Montréal vise une densification autour des noeuds de transports collectifs », souligne Ludwig Desjardins. Mais une fois ce souhait énoncé, il reconnaît que cela va « se répercuter sur le zonage et les réglementations municipales », forçant tous les intervenants à concevoir de nouveaux outils pour assurer un développement harmonieux.

Parmi ces outils, ce planificateur de l’AMT ne cache pas sa jalousie devant les méthodes françaises, mieux coordonnées lors de grandes opérations d’urbanisme. « Au Québec, il n’y a pas de maîtrise foncière possible. Quand on planifie un projet de transport collectif, on nous dit souvent que ça aura un grand impact sur les valeurs foncières, sur le développement, autour des gares par exemple. Si on contrôlait mieux cet aspect, on pourrait s’assurer d’une plus grande cohérence. »

Parmi ses tâches, Ludwig Desjardins cherche constamment à l’étranger « les bonnes pratiques » ainsi que « d’autres approches de financement innovatrices », reconnaissant aussi que dans le domaine du transport collectif, « il y a plus de besoins que de fonds disponibles ». Il voit dans le monde anglo-saxon une nouvelle logique de financement : « On se demande à qui profite un projet et on essaie d’impliquer l’ensemble des acteurs, des promoteurs immobiliers ou des entreprises. »

Cette approche se dessine à New York autour du prolongement d’une ligne de métro, et à Londres, avec l’ambitieux Crossrail: l’implantation d’un train de banlieue et de métro qui traverse toute la région de Londres — l’équivalent du fameux RER parisien. « Comme ils ne peuvent le payer avec des fonds publics, ils ont associé tous les bénéficiaires, dont le secteur financier du centre de Londres, lui qui a vraiment besoin de Crossrail pour assurer une meilleure accessibilité pour leurs employés. »

« Le Québec peut s’inspirer de ces méthodes », affirme Ludwig Desjardins, relevant les résultats d’une analyse faite conjointement par l’AMT et l’Université Laval. « Sur la ligne de train de banlieue Mont-Saint-Hilaire, on a découvert que 13 à 14 % de la valeur mobilière des maisons dans un rayon de 500 mètres était associée à la présence des gares. » Selon lui, ce constat doit faire réfléchir. « Quand toutes les infrastructures sont payées à 100 % par l’État, et qu’il y a un important développement urbain greffé à ça, les promoteurs en retirent beaucoup de bénéfices… » L’heure est assurément à un changement de culture pour modifier le paysage.

Ce contenu spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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