À la poursuite de la ville intelligente

Ce texte fait partie du cahier spécial Francophonie 2014
Montréal et Lyon ont en commun d’avoir des maires qui font de la ville intelligente un enjeu phare de leur mandat. En novembre dernier, une étude de l’opérateur d’objets connectés m2ocity a désigné Lyon comme « la ville la plus intelligente de France ». La grande région métropolitaine de Montréal, quant à elle, a été reconnue parmi les 21 métropoles intelligentes dans le classement de l’Intelligent Community Forum (IFC) et vise publiquement le premier rang d’ici 2017. Denis Coderre et Gérard Collomb, respectivement maire de Montréal et maire de Lyon, ouvriront ensemble le colloque intitulé Les villes intelligentes et numériques : gouvernement ouvert, administration performante, économie attractive et éco-système créatif, qui se tiendra le 6 octobre prochain à la Société des arts technologiques (SAT). Ils ont répondu par courriel aux questions du Devoir à propos du virage technologique qu’ils ont entrepris.
Entrevue avec Gérard Collomb
Lors du colloque sur le même thème, dans le cadre de la dernière édition des Entretiens Jacques-Cartier, il se dégageait un constat selon lequel il y avait plusieurs visions et modèles différents de ce que peut être une ville intelligente. Quel est le modèle ou quelle est la vision que vous poursuivez pour Lyon ?
À Lyon, nous pensons que la ville intelligente ne se construira que par une coopération renforcée entre acteurs publics et acteurs privés. C’est pourquoi nous avons travaillé avec les entreprises à l’élaboration de notre stratégie. Les projets qui s’inscrivent dans ce cadre peuvent ensuite être soit publics, soit privés, soit, le plus souvent, mixtes.
Est-ce que Lyon a des leçons à tirer de la démarche technologique de Montréal ? Quelles autres métropoles vous inspirent dans ce domaine et pourquoi ?
Ouverture des données, développement de systèmes intelligents de gestion de l’énergie ou des transports, création d’incubateurs pour les « start-up » : la démarche de Montréal est assez similaire à la nôtre. Nous avons aussi en commun une forte impulsion donnée par le politique : c’est à mon avis fondamental pour enclencher une vraie dynamique.
Outre Montréal, nous puisons notre inspiration à Yokohama, au Japon, ou encore à Amsterdam, des villes qui sont très en avance sur ces sujets. C’est ce travail d’analyse comparative qui nous permet aujourd’hui d’être, selon plusieurs classements, la « ville la plus intelligente de France ».
Quel rôle doit, selon vous, être accordé aux citoyens dans le développement de la ville intelligente ?
Les citoyens ont une place essentielle dans ce processus, car c’est bien pour eux que l’on développe la ville intelligente ! C’est pour cela que nous allons créer dans notre quartier d’affaires, la Part-Dieu, un « living lab » dans lequel les habitants seront associés à l’élaboration des différents services et applications. Notre ambition est de rendre la vie plus facile, plus fluide et plus agréable.
Comment anticipez-vous une gouvernance municipale transparente avec l’ouverture des données facilitée par les nouvelles technologies ?
L’ouverture des données est un enjeu majeur. C’est pourquoi nous avons lancé en 2012 la plateforme Grand Lyon Smart Data, qui met à disposition de tous des données publiques, mais aussi privées. S’il s’agit bien sûr d’instaurer une gouvernance municipale transparente, nous considérons aussi cette plateforme comme un levier pour susciter l’innovation dans nos entreprises.
Les logiciels libres ont-ils une place dans le virage technologique lyonnais ?
La plateforme Grand Lyon Smart Data est précisément basée sur les logiciels libres. C’est pour nous quelque chose de très important.
Au-delà des questions de réputation et d’image, comment croyez-vous que le virage numérique peut rendre Lyon plus attractive ou compétitive par rapport aux autres métropoles d’un point de vue économique ?
Partant du constat que les entreprises qui intègrent efficacement le numérique ont un taux de croissance deux fois supérieur aux autres, nous avons fait de la diffusion de ces technologies une priorité. C’est pour cela que nous avons créé il y a dix ans l’Espace Numérique Entreprises, qui vise à développer l’usage de ces outils dans nos PME. C’est pour cela aussi que nous avons lancé un grand plan fibre optique, qui permettra d’équiper tout notre territoire en très haut débit d’ici 2019. Quand on sait qu’un euro investi pour le très haut débit génère en moyenne 6 euros de PIB, on mesure l’importance d’une telle politique.
Enfin, le numérique est pour nous un secteur économique à part entière puisqu’avec 36 000 emplois, Lyon est le second pôle français. C’est fort de ces atouts que l’écosystème numérique lyonnais est candidat au label « French Tech ». Bref, je peux donc vous dire que nos « start-up » vont faire parler d’elles dans les années à venir !
Malgré les espoirs qu’elle stimule, la ville intelligente engendre aussi des craintes par rapport à de possibles dysfonctionnements, piratages informatiques ou atteintes à la vie privée. Comment envisagez-vous de prévenir ces dérapages ?
Toutes les nouveautés sont génératrices de risques, de craintes. Sur le sujet de la ville intelligente, je crois que la clé, c’est de mettre la municipalité en position de régulateur. C’est précisément ce que font Montréal et Lyon. Il n’y a donc aucune inquiétude à avoir.
Entrevue avec Denis Coderre
Lors du colloque sur le même thème dans le cadre de la dernière édition des Entretiens Jacques-Cartier, il se dégageait un constat selon lequel il y avait plusieurs visions ou modèles différents de ce que peut être une ville intelligente. Quel est le modèle ou la vision que vous poursuivez pour Montréal ?
Mon administration s’est engagée à faire de Montréal une des villes les plus intelligentes au monde. Pour y arriver, j’ai mandaté le vice-président du comité exécutif, M. Harout Chitilian, pour porter ce dossier stratégique. Il pourra compter sur l’implication de toute l’administration municipale. Depuis le début de l’année, nous avons posé des gestes concrets avec la création du Bureau de la ville intelligente et numérique et l’entrée en fonction du directeur de ce bureau, M. Stéphane Goyette. Le bureau devra développer la stratégie montréalaise et un plan d’action intégré en puisant dans la créativité et la sagesse collectives des Montréalais, en s’inspirant des modèles de villes intelligentes éprouvés tels que Lyon, Amsterdam ou encore New York, tout en misant sur l’expertise de notre fonction publique. Ultimement, nous voulons créer un modèle proprement montréalais pour répondre aux besoins spécifiques de nos citoyens.
Est-ce que Montréal a des leçons à tirer de la démarche technologique amorcée à Lyon ? Quelles autres métropoles vous inspirent dans ce domaine et pourquoi ?
À l’instar de Lyon, nous préconisons l’usage du domaine public comme laboratoire pour tester des solutions à des enjeux municipaux. Ainsi, nous souhaitons favoriser l’innovation et le développement des systèmes intelligents de gestion du transport, des infrastructures, de la sécurité, de l’énergie, de l’eau et de l’environnement. Cela passe par une collaboration étroite avec nos pôles d’incubation universitaires, comme District 3, Centech et Mosaïc, ainsi qu’institutionnels, comme le Quartier de l’innovation ou encore la Maison Notman. Comme à New York, nous devons mettre à profit notre réseau d’entreprises en démarrage afin de développer des applications participatives.
Quel rôle, selon vous, doit être accordé aux citoyens dans le développement de la ville intelligente ?
La ville intelligente et numérique doit être pensée par le citoyen et pour le citoyen. Son rôle est non seulement central mais également participatif. L’administration publique ne peut plus définir les besoins citoyens sans consulter la population. Elle doit la mettre à contribution. C’est pourquoi nous n’avons pas perdu de temps, et, en prévision de l’hiver prochain, nous lancerons une plateforme applicative sur le déneigement intelligent, fruit d’une collaboration étroite avec la population et nos réseaux d’entreprises en démarrage. C’est de cette manière que nous voulons définir puis mettre en pratique un modèle collaboratif et participatif pour accompagner la réalisation des projets numériques.
Comment anticipez-vous une gouvernance municipale transparente avec l’ouverture des données facilitée par les nouvelles technologies ?
Depuis 2012, Montréal s’est doté d’une politique d’ouverture de données et libère en continu ses données sur un portail spécialement dédié. J’ai été élu en m’engageant pour la transparence et pour la gestion efficiente des fonds publics, et l’utilisation des nouvelles technologies va renforcer cette transparence. Notre administration va libérer massivement les données et développer des outils de visualisation pour mettre en valeur celles-ci.
Les logiciels libres auront-ils une place dans le virage technologique de Montréal ?
Les solutions libres ont déjà leur place dans le virage technologique en cours. Désormais, à chaque remplacement d’outil, une analyse est effectuée afin d’évaluer la possibilité de remplacement par un logiciel libre. Ces derniers sont partie prenante du chantier de réévaluation des besoins informatiques de l’ensemble des postes informatiques de la Ville.
Au-delà des questions de réputation et d’image, comment croyez-vous que le virage numérique peut rendre Montréal plus attractive ou compétitive par rapport aux autres métropoles d’un point de vue économique ?
Le développement économique est une priorité pour mon administration, et Montréal a des atouts majeurs en matière d’innovation. L’industrie des jeux vidéo y est solidement implantée et on peut compter sur des entreprises créatives de haute qualité, comme Ubisoft, Moment Factory ou Sid Lee, reconnues pour leur personnel très qualifié. Nous avons ce savoir-faire, mais il est certain que nous devons aussi nous doter des meilleures infrastructures numériques afin de saisir toutes les nouvelles occasions d’affaires qui s’offrent à nous. Et ça, ça doit nécessairement passer par un Montréal connecté pour tous.
Malgré les espoirs qu’elle stimule, la ville intelligente engendre aussi des craintes par rapport à de possibles dysfonctionnements, piratages informatiques ou atteintes à la vie privée. Comment envisagez-vous de prévenir ces dérapages ?
Nous avons une expertise informatique technique interne qui s’est bâtie depuis de nombreuses années, mais surtout, nous avons à coeur de tester deux fois plutôt qu’une nos systèmes avant de les annoncer publiquement. C’est dans ce sens que nous avons lancé la mise en activité du Centre de gestion de mobilité urbaine, qui a nécessité plusieurs mois de test avant d’être à 100 % opérable. La vie privée est une condition essentielle dans le processus de numérisation des services publics. Protéger les informations personnelles des citoyens, c’est notre responsabilité d’élu.
Ce contenu spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.