Comment assurer la survie de son entreprise

Claude Lafleur Collaboration spéciale
Selon le professeur agrégé au Département du management à HEC Montréal, Luis Felipe Cisneros Martinez, il faut préparer de façon soignée la succession de son entreprise.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Selon le professeur agrégé au Département du management à HEC Montréal, Luis Felipe Cisneros Martinez, il faut préparer de façon soignée la succession de son entreprise.

Ce texte fait partie du cahier spécial Francophonie 2014

Selon des enquêtes menées au Québec, 30 % des propriétaires de PME envisagent de prendre leur retraite d’ici dix ans, alors que 48 % des entreprises n’ont aucun plan de succession des cadres dirigeants. Ce constat est similaire en France, au Canada et dans la majorité des pays consultés. « Dans l‘histoire de l‘humanité, on n’a jamais eu autant d’entreprises à céder et à reprendre », observe Luis Felipe Cisneros Martinez, professeur agrégé au Département du management à HEC Montréal.

Pour cette raison, les Entretiens Jacques-Cartier organisent un colloque international sur le thème Relève PME et succession d’entreprises familiales : enjeux stratégiques, organisationnels et humains, et meilleures pratiques.

M. Cisneros est l’un des co-organisateurs. « Il s’agit d’un colloque où la francophonie se rencontre pour aborder le fait que, dans le monde occidental, on a une situation particulière, explique-t-il. D’une part, il y a le fait que les baby-boomers ont créé la majorité des entreprises qu’on connaît à présent alors que, d’un autre côté, la nouvelle génération a de nouvelles valeurs, dont la conciliation travail-famille : ils ne veulent pas travailler sept jours par semaine ! »

En outre, dans la majorité des cas, poursuit le chercheur, on a affaire à une première relève. « Imaginez-vous, dit-il, quelqu’un qui n’a jamais transmis son entreprise s’adresse à quelqu’un qui n’en a jamais repris une ! Ce sont deux personnes totalement inexpérimentées qui se rencontrent. »

Le colloque sur la relève des PME sera l’occasion de réunir des académiciens et des praticiens du Québec et d’Europe pour dresser la synthèse de la dynamique cédant–repreneur et des processus d’accompagnement des PME.

Les clés de la réussite

 

Dans ses enquêtes, Luis Cisneros constate un curieux phénomène. « Chaque fois que je demande à un patron de PME de me parler d’un important changement organisationnel qu’il a eu à faire — par exemple, l’implantation d’une nouvelle technologie —, il me dit qu’il a fait appel à des spécialistes externes. Par contre, il ne songe pas à recourir à de l’aide extérieure lorsque viendra le temps de transmettre son entreprise (si ce n’est pour les questions financières et légales). Or, le changement le plus important que puisse vivre une entreprise est sans aucun doute celui d’une succession ! »

Luis Cisneros est un véritable passionné de la question. Entre autres, il dirige l’Institut d’entrepreneuriat Banque Nationale–HEC Montréal ainsi que le Parcours entrepreneurial Rémi-Marcoux.

Originaire du Mexique, il vient d’une famille d’entrepreneurs… où la transmission de l’entreprise familiale, de son grand-père vers ses parents, oncles et tantes, s’est très mal passée. « À la suite du décès de mon grand-père, l’entreprise a éclaté… la famille aussi ! », raconte-t-il. Il faut dire que son aïeul est décédé subitement (d’une crise cardiaque) et qu’il n’avait donc pas préparé sa succession. Par contre, la transmission de l’entreprise familiale de ses parents vers ses frères s’est très bien faite, dit-il. « J’ai vécu ces problèmes, ce n’est pas quelque chose que j’ai lu dans un livre ! fait-il valoir. Et maintenant, je fais de la recherche universitaire sur le sujet. »

D’après sa propre expérience, et surtout d’après ses travaux, il observe qu’il faut soigneusement planifier la succession de son entreprise et s’y prendre d’avance. « Cela doit être vu comme un processus, dit-il, et un processus qui s’étendra de 1 à 10 ans, selon la taille de l’entreprise, la complexité des choses, le contexte économique, etc. »

Un autre phénomène qu’il observe est le fait que les dirigeants ne veulent pas quitter leur entreprise. Pour faciliter les choses, recommande le chercheur, on doit faire en sorte que celui-ci demeure au sein de l’entreprise tout en transmettant ses pouvoirs. « Il doit changer de rôle, indique M. Cisneros. Par exemple, s’occuper des relations publiques ou des clients importants, participer à des foires commerciales, etc. »

Et pourquoi pas le «reprenariat»?

La clé du succès repose sur le fait que le cédant doit assumer un rôle dans lequel il continuera de s’épanouir en prenant toutefois de moins en moins les décisions stratégiques. À partir de ce moment, cette personne peut devenir « tout un atout pour l’entreprise », constate M. Cisneros.

En conséquence, il parle alors de gestion intergénérationnelle plutôt que de succession ou de relève. « Lors d’une succession, il est préférable d’avoir une période de règne conjoint durant laquelle le prédécesseur cède petit à petit les responsabilités et les tâches à ses successeurs — et je parle ici de successeurs au pluriel », note le spécialiste.

En effet, dans 80 % des cas où la succession s’est bien faite, il y a le fait que ce sont des équipes qui ont pris la relève du dirigeant, et non une seule personne. « Si c’est une relève familiale, il s’agit souvent de plusieurs frères et soeurs qui deviennent coactionnaires de l’entreprise », rapporte Luis Cisneros.Cette relève peut aussi comprendre des employés de l’entreprise et des personnes venues de l’extérieur. « On voit donc des équipes hybrides formées de la famille, d’employés et d’externes selon toutes les combinaisons imaginables », indique-t-il.

Enfin, Luis Cisneros préconise même le reprenariat. « Il s’agit de reprendre une entreprise avec un esprit entrepreneurial, explique-t-il, de profiter de la succession pour revoir tous les processus, les produits et services, et tout ce qu’on pourrait améliorer… Il s’agit de profiter de l’occasion pour mettre en oeuvre de nouvelles idées tout en profitant du soutien du cédant. »

Luis Cisneros constate aussi que c’est un peu différent dans chaque pays. Par exemple, au Québec, les enfants ont tendance à acheter l’entreprise de leurs parents alors qu’en France, ces derniers la lèguent. C’est ainsi que, dans le cadre du colloque des Entretiens Jacques-Cartier, chercheurs et praticiens discuteront des avantages et inconvénients de différents modèles et échangeront sur les meilleures pratiques.

Ce contenu spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

« Imaginez-vous, dit-il, quelqu’un qui n’a jamais transmis son entreprise s’adresse à quelqu’un qui n’en a jamais repris une ! Ce sont deux personnes totalement inexpérimentées qui se rencontrent. »

À voir en vidéo