Quelle définition pour la gastronomie?

Marie-Hélène Alarie Collaboration spéciale
Les deux grands chefs Jérôme Ferrer, du groupe Europea, et Normand Laprise, chef propriétaire du restaurant Toqué! et de la Brasserie T!, participeront au colloque.
Photo: Miguel Medina Agence France-Presse Les deux grands chefs Jérôme Ferrer, du groupe Europea, et Normand Laprise, chef propriétaire du restaurant Toqué! et de la Brasserie T!, participeront au colloque.

Ce texte fait partie du cahier spécial Francophonie 2014

Art, luxe, philosophie, connaissance ou science : on a tenté de définir la gastronomie avant même qu’elle n’existe. Aujourd’hui, dans ce XXIe siècle où tout s’accélère, la définition éclate et se multiplie. Alors, quand vient le temps de cerner ce qu’est la gastronomie québécoise les choses se compliquent encore un peu.

« Imaginaires de la gastronomie : productions, diffusions, valeurs et enjeux », c’est le titre du colloque dont une des deux responsables scientifiques est Julia Csergo, professeure à l’UQAM. C’est un colloque aux ambitions impressionnantes parce que « quand on parle de gastronomie, on aborde un champ assez vaste ; les définitions de la gastronomie ne sont pas très précises et tout le monde n’entend pas exactement la même chose — le mot lui-même n’a pas le même sens partout », raconte dans un éclat de rire Mme Csergo.

Pendant deux jours, le programme du colloque s’articule autour de cinq axes : les émergences, les nomadismes, les identités, les valeurs et les patrimoines. À la fin de la première journée, le public est convié à une table ronde animée par le journaliste scientifique à Radio-Canada Yanick Villedieu qui portera sur les Imaginaires de la gastronomie — Regards croisés de professionnels Québec-France.

La gastronomie multiforme

 

Julia Csergo trouvait intéressant de voir comment on pouvait parler de gastronomie au Moyen Âge, alors que le mot n’existait pas encore vraiment. Elle voulait connaître ce qu’était la gastronomie chez les Abbassides ou ce qu’elle représentait pour les Japonais : « C’est vrai que déjà ça permet de confronter les idées. C’est la raison pour laquelle le colloque porte sur les imaginaires, parce que je pense que ce sont les imaginaires de la gastronomie qui font que finalement le terme est employé partout dans le monde aujourd’hui », dit-elle. Le mot gastronomie est formé du grec gastèr, qui signifie le ventre, l’estomac et de nomos, la loi, donc littéralement « l’art de régler l’estomac ». Selon Brillat-Savarin, « la gastronomie est la connaissance raisonnée de tout ce qui a rapport à l’homme en tant qu’il se nourrit. Son but est de veiller à la conservation des hommes, au moyen de la meilleure nourriture possible. » Puis, au XXe siècle, la définition prend un tour élitiste tant dans la manière de cuisiner que de déguster les aliments. Aujourd’hui, la gastronomie est considérée comme l’ensemble des connaissances et des pratiques et devient même une culture. Elle se fait aussi patrimoine immatériel et, à ce titre, depuis le 16 novembre 2010, l’UNESCO a étendu sa protection au repas gastronomique à la française au panthéon du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Mais est-ce bien la même chose ailleurs dans le monde ?

Les imaginaires et les identités

 

Quand on pénètre le monde étrange des imaginaires, on peut s’attendre à faire des rencontres surprenantes. « Les thématiques abordées dans le segment Identités renvoient toutes au fait que la gastronomie est un des champs qui portent les identités, quelles qu’elles soient », rappelle Julia Csergo. Charles-Édouard de Suremain, chargé de recherche à l’Institut de recherche pour le développement à Paris, abordera les Sexualités bonnes à manger, Imaginaires de l’alimentation entre l’Afrique et l’Amérique, alors que Tristan Landry, professeur à l’Université de Sherbrooke, à l’aide de brochures allemandes de tourisme culinaire de l’époque, expliquera le lien entre l’imaginaire culinaire et la construction d’une identité nazie. « En effet, depuis les rites d’initiation africains jusqu’au tourisme culinaire nazi, les identités se définissent à travers la gastronomie. C’est totalement lié », renchérit Julia Csergo.

Les valeurs véhiculées par la gastronomie

 

Julia Csergo pose la question : « Est-ce que les rapports et les valeurs dont on parle représentent la même chose partout ? Ici, la gastronomie peut être considérée comme quelque chose d’extrêmement élitiste, lié aux restaurants et aux très grands chefs. Ailleurs, ça peut être quelque chose de très populaire. » Diverses allocutions tenteront de répondre à cette interrogation. Par exemple, Alain Girard, coordonnateur de recherche et stagiaire postdoctorant au Laboratoire de recherche sur la santé et l’immigration de l’UQAM, abordera Les soupes Campbell et l’imaginaire gastronomique populaire. De son côté, Jean-Pierre Hassoun, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique/École des Hautes Études en sciences sociales de l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (IRIS-CNRS/EHESS) à Paris posera la question « La gastronomie en grande surface. Oxymore ou naissance d’un imaginaire alimentaire de masse ? »

Jérôme Ferrer et Normand Laprise

 

La notion de gastronomie existe-t-elle, oui ou non ? On l’a vu, la réponse est plus que complexe. Plus ardu encore est de tenter de définir la gastronomie québécoise. Ce sont différents points de vue qui se discuteront lors de la table ronde à laquelle prendront place les deux grands chefs Jérôme Ferrer, du groupe Europea, et Normand Laprise, chef propriétaire du restaurant Toqué ! et de la Brasserie T ! On y trouvera aussi Alex Cruz, copropriétaire de la société Orignal, ainsi que d’autres professionnels du milieu. « La question de ce qu’est la gastronomie québécoise ne sera pas posée en termes de recherche, bien que les participants vont certainement tenter de la définir », dira Julia Csergo, qui a plutôt placé la discussion dans un axe touristique. « Nous avons voulu le regard et le point de vue des chefs, parce que ce sont eux qui portent l’image de la gastronomie, ainsi que d’une société comme Orignal, présente sur les marchés américain et européen et qui fait connaître à travers le monde le terroir québécois. Ce sera intéressant de voir sur quoi ils basent l’identité de leur gastronomie. »

« Les identités sont toujours un peu des constructions, elles n’existent pas de façon essentialiste. Il est bon de savoir comment on les construit et comment on les perçoit », dira Julia Csergo. Le terrain économique est donc fertile pour engendrer des imaginaires. Le Québec a beaucoup plus à offrir que du sirop d’érable, du cidre de glace et… de la poutine ! « Il y a beaucoup à développer pour créer des messages et faire connaître les produits, mais un grand mouvement qui va dans ce sens est engagé depuis quelques années. Ce sont les chefs, les entreprises et les institutions touristiques qui vont porter ces messages et qui vont contribuer à former nos imaginaires… »

Ce contenu spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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