Le téléphone, le texto et l’insécurité routière

Ce texte fait partie du cahier spécial Francophonie 2014
S’il s’avère difficile d’évaluer dans quelle proportion les accidents de la route sont causés par des distractions au volant, telles que l’utilisation du téléphone et l’envoi de messages textes, de nombreuses études ont démontré que ces comportements modernes perturbent dangereusement la conduite automobile. Alors que la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) diffuse de nouveaux messages de sensibilisation contre le texto au volant, un colloque organisé dans le cadre des Entretiens Jacques-Cartier propose d’aborder la question en long et en large.
Selon François Bellavance, directeur du Réseau de recherche en sécurité routière et membre du comité scientifique de ce colloque, il semblerait bien que la distraction au volant augmente en proportion parmi les causes d’accidents de la route au Québec. Bien que l’alcool et la vitesse figurent toujours dans le peloton de tête, l’inattention et la fatigue semblent en voie de prendre le dessus. Prudent, l’homme de statistiques souligne que le phénomène demeure encore difficile à mesurer. Ce n’est que récemment qu’on a commencé à avoir des données précises concernant ces sources de distraction dramatiques, grâce aux rapports des policiers.
« Ça peut être difficile pour des policiers qui arrivent sur le lieu d’un accident de juger si celui-ci a eu lieu parce qu’un conducteur a été distrait ou non, convient pour sa part Lyne Vézina, directrice Études et stratégies en sécurité routière à la SAAQ. Et c’est encore plus difficile d’établir si la personne utilisait un téléphone cellulaire ou envoyait un message texte au moment de la collision. Alors, quand on aborde la question de la distraction, on a tendance à le faire dans son sens large, sans en préciser la cause. » Son organisme indique qu’au Québec, on estime que la distraction est la cause la plus souvent mentionnée comme « cause principale » des accidents avec dommages corporels.
Certaines sources de distraction existent à l’intérieur de la voiture depuis longtemps, telles que le fait de fumer, de manger, de boire et d’ajuster la radio pendant la conduite. Mais avec le temps se sont ajoutées à bord du véhicule ce qu’on appelle des technologies embarquées, comme le GPS, le téléphone mobile, et même parfois le lecteur DVD et l’écran LED. Parmi celles-ci, le téléphone et l’envoi de messages textes inquiètent sérieusement.
Une conduite risquée
Car si les causes des accidents demeurent parfois nébuleuses, de nombreuses études ont démontré au fil des années que les conducteurs utilisant un téléphone au volant détériorent leur performance sur la route et risquent davantage d’y provoquer des collisions. On constate dans leurs comportements une augmentation de leur temps de réaction, une réduction de leur perception visuelle, une réduction de leur aptitude à éviter les obstacles et une diminution de leur capacité à rouler simplement en ligne droite, et à bien maintenir leur position au centre de la voie.
Le New England Journal of Medecine a publié en janvier les résultats de travaux menés entre autres par Marie-Claude Ouimet, professeure adjointe à la Faculté de médecine et de sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke. Les chercheurs ont fait munir les véhicules de certains automobilistes de caméras et de capteurs pendant plusieurs mois. Mme Ouimet affirme que « chez les jeunes conducteurs, le risque d’accident et de quasi-accident est beaucoup plus élevé lorsqu’ils textent, composent un numéro de téléphone, cherchent leur téléphone ou un autre objet dans le véhicule ou mangent en conduisant. Chez les conducteurs plus âgés, le risque est plus élevé lorsqu’ils composent un numéro de téléphone ».
Si la législation québécoise n’interdit pas le bavardage au téléphone sur haut-parleur, surtout parce que le contrôle à effectuer par les policiers serait plus ardu que dans le cas d’un portable tenu à la main, il n’en demeure pas moins que cette activité passe mal l’épreuve de la sécurité. En effet, la conversation téléphonique, d’une façon ou d’une autre, produit une distraction d’ordre cognitive, au niveau du cerveau, qui ne concerne que peu la main. Selon M. Bellavance, échanger avec un passager à bord peut s’avérer plus sécuritaire dans la mesure où celui-ci peut observer l’environnement de conduite et réagir aux dangers potentiels de la route.
Changer les comportements
On peut affirmer clairement, selon M. Bellavance, que « de plus en plus de gens possèdent un téléphone portable, et une grande proportion l’utilise en conduisant ». À ce sujet, la Fondation de recherches sur les blessures de la route (FRBR), basée à Ottawa, a réalisé en 2011 un sondage canadien sur la sécurité routière portant précisément sur la distraction au volant. 18,1 % des répondants ont alors affirmé qu’ils parlaient souvent au téléphone sur haut-parleur en conduisant, 4,8 % ont mentionné qu’ils conversaient souvent à l’aide de leur cellulaire, et 4 % ont déclaré qu’ils composaient souvent des messages textes au volant.
Au Québec, un sondage réalisé en 2013 par la firme SOM révèle que 99 % des Québécois considèrent qu’écrire ou lire un message texte en conduisant est assez ou très dangereux, mais 19 % avouent qu’il leur arrive de le faire. La SAAQ signale aussi que le nombre de personnes reconnues coupables d’une infraction concernant l’utilisation d’un cellulaire au volant est en progression depuis le 1er juillet 2008, date à laquelle les policiers ont commencé à remettre des constats d’infraction. En 2012, ce nombre s’élevait à 63 945.
Selon Mme Vézina, beaucoup de gens qui utilisent leur appareil au volant affirment ne pas être capables de s’empêcher de répondre lorsque celui-ci sonne. « C’est comme un conditionnement qu’il faut casser », croit-elle. D’autre part, bien des gens semblent surévaluer leurs capacités à effectuer une deuxième tâche pendant la conduite. « Ce n’est pas si simple à contrer, dans la mesure où c’est vraiment bien ancré dans les habitudes des gens d’être connectés 24 heures sur 24. »
M. Bellavance considère que c’est beaucoup par la sensibilisation et l’éducation qu’on peut arriver à faire adopter de bons comportements en matière de sécurité routière. À la suite d’une campagne récente menée par le CAA Québec et la SAAQ, au cours de laquelle on amenait les conducteurs à expérimenter concrètement les limites de leurs capacités grâce à des simulateurs de conduite, Mme Vézina souligne que la démonstration peut provoquer efficacement des prises de conscience heureuses.
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