Le Nunavut vu du ciel

C’est le plus grand territoire du Canada. C’est le moins peuplé aussi. Deux millions de kilomètres carrés peuplés de quelque 35 000 habitants, vivant dans des communautés isolées. Vingt-cinq communautés, principalement composées d’Inuits vivant loin des grandes villes, loin des routes. Un territoire fondé il y a tout juste 15 ans, qui donne pour la première fois davantage de pouvoirs aux Inuits qui le peuplent. Vu des airs, photographié par Mario Faubert, le Nunavut se déploie comme une peinture abstraite, avec ses volées d’oies blanches flottant sur ses eaux transparentes, ses icebergs brillant au soleil, ses glaces ridées et fissurées par le passage du temps, l’ombre de ses enfants qui s’allonge sous le soleil de minuit.
Pilote de formation et photographe, Mario Faubert a collaboré durant cinq ans avec le célèbre photographe aérien Yann Arthus-Bertrand. Après avoir ainsi photographié la Terre vue du ciel aux quatre coins du globe, il lui vient l’idée de revenir au bercail pour photographier son propre pays vu des airs. Dans un premier temps, il publie le livre Nunavik, en 2010, aux éditions du passage. Ces jours-ci, il lance Nunavut, aux éditions Sylvain Harvey, un recueil de photos du Grand Nord prises à bord d’un monomoteur qu’il conduit lui-même, durant 55 heures de vol.
« Il y a tellement de choses exceptionnelles qu’on peut voir du ciel, raconte-t-il, évoquant les différentes teintes de l’eau, les ombres au sol. Et quand on voit les humains d’en haut, on les perçoit différemment. On se sent comme de petits oiseaux. Eux, en bas, ne savent pas qu’onles regarde ».
Nunavut est le premier d’une série de livres que Mario Faubert veut signer sur chacune des provinces et les deux territoires du Canada. Déjà, cet été, il a photographié l’île du Prince-Édouard, sa terre rouge, ses cultivateurs penchés sur leur champ de pommes de terre, ses villes et ses ports de pêche.
L’été prochain, il projette de survoler les Territoires du Nord-Ouest. « Je voulais y aller cet été, mais il y avait trop d’incendies de forêt et la visibilité aurait été mauvaise. » Il a aussi tout un stock de photos du Québec vu des airs.
Le Nunavut se déploie quant à lui loin au-dessus de la ligne des arbres : une terre souvent ocre, presque déserte, qui n’est pas accessible par la route. « On n’y trouve ni routes, ni chemin de fer, ni même de transport de lignes d’électricité », écrit la commissaire du Nunavut, Edna Ekhivalak Elias, en avant-propos du livre. Pour fonctionner, chacune des 25 communautés doit donc avoir son aéroport, son école et son propre système de traitement des eaux. L’essence y est transportée uniquement l’été, par bateau, lorsque les glaces le permettent. L’approvisionnement est donc un défi pour le pilote d’un monomoteur, qui ne jouit que de huit heures d’autonomie. Cela exige une gestion serrée du carburant. « On ne peut pas tourner en rond 15 minutes pour prendre une photo », dit Mario Faubert.
Au nord du 55e parallèle
Dans un territoire comme le Nunavut, au nord du 55e parallèle, il faut aussi faire avec une météo changeante. Dans ces vastes espaces inhabités, peu d’informations circulent sur les conditions météorologiques. Le pilote doit donc souvent miser sur son propre flair pour prévoir les tempêtes ou le brouillard, fréquent en été à cause de l’humidité créée par le dégel des glaces. « En 2007, j’ai été bloqué une semaine à la baie James à cause du brouillard », raconte Mario Faubert.
En route vers Igloolik, alors que le brouillard menace, dans une région où il y a très peu d’endroits où se poser, Mario Faubert a dû plutôt mettre le cap sur le village de Naujaat, qu’on appelle aussi Repulse Bay. Naujaat veut dire en inuktitut « nidification des mouettes ». À 1 h du matin, « la lumière est sublime, écrit-il. Le soleil, presque à l’horizon au sud-ouest, donne des images incroyables puisqu’à cette période de l’année et à cette latitude, il ne se couche presque jamais ». Faubert en tirera des photos émouvantes, comme celle où l’on voit le petit cimetière de Naujaat, dont les petites tombes de bois se dressent comme un jardin de petites fleurs.
« Comme le sol est fait de roc, ils déposent les corps des défunts à la surface et les recouvrent de roches », raconte-t-il.
Même en pleine nuit, des dizaines d’enfants éveillés accueillent Mario Faubert et son copilote qui coucheront dans la roulotte qui tient lieu d’hôtel dans cette région polaire. Plus tard, les enfants, qui lancent leur ballon sur le mur de l’hôtel, empêcheront les clients de dormir, raconte-t-il.
Il faut dire que 85 % de la population du Nunavut a moins de 20 ans. Dans ce contexte, l’éducation est un défi majeur, raconte Bernie McIsaac, sous-ministre adjoint qui accueille Mario Faubert à Iqaluit à l’occasion du lancement livre. Le Nunavut ne compte par ailleurs qu’un hôpital, à Iqaluit, les autres communautés étant plutôt desservies par des petits centres de santé. Et si les Inuits ont davantage leur mot à dire dans la gestion des affaires et des ressources du territoire, qu’on dit riche de diamants, entre autres, ils ne comptent toujours que pour moins de 50 % de la main-d’oeuvre employée par les mines d’or et de fer de la région. Dans 50 ans, il y aura autant de routes au Nunavut que dans les territoires du Nord-Ouest, prévoit Mario Faubert. Le climat, quant à lui, a déjà commencé à changer. Et alors que le mercure tombait franchement sous les -20 degrés à partir de novembre, il est désormais fréquent d’enregistrer des températures de 5 degrés en janvier.
En plein mois de juillet, lors du voyage de Faubert, les rives de la mer sont encore encombrées de glace, et le photographe a capté sur la glace les bateaux de pêche, qu’on s’est empressé de sortir en prévision du dégel, aux côtés des motoneiges.
Le photographe prend ses photos entre 500 et 1000 pieds au-dessus du sol. À hauteur de beauté. S’il établit à l’avance ses itinéraires, principalement en fonction du carburant disponible, 75 % des photos sont le fruit du hasard, scènes imprévues croquées en plein vol. Après avoir survolé le globe, il a vu les traces de la pollution sur terre et dans l’eau, des dépotoirs laissés à l’abandon. Mais c’est la beauté du monde que son oeil veut traquer, qu’il veut partager dans ses livres.
Notre journaliste s’est rendue au Nunavut grâce au soutien de First Air.