Québec s’invite en Cour suprême

Québec n’attendra pas que l’on conteste devant les tribunaux la loi 52 sur l’aide médicale à mourir pour la défendre devant la Cour suprême. La procureure générale Stéphanie Vallée devance Ottawa et réclame que soit reconnue la « compétence exclusive » des provinces en la matière.
La ministre québécoise de la Justice a présenté au début du mois un mémoire devant le plus haut tribunal au pays, dans le cadre d’une cause portant sur le suicide assisté en Colombie-Britannique. Elle y étaye pour la première fois devant la cour l’argumentaire juridique ayant mené à la rédaction et à l’adoption de laLoi concernant les soins de fin de vie, en juin, à l’Assemblée nationale.
Le mémoire soutient que « ce soin de santé doit être abordé en tenant compte du contexte médical dans lequel il s’inscrit, et non de façon désincarnée en centrant l’analyse uniquement sur sa conséquence ultime, c’est-à-dire le décès du patient ». Il ajoute que le Québec intervient dans ce dossier touchant une affaire s’étant déroulée à l’autre bout du pays parce que « de sérieux impacts juridiques pourraient en découler ».
Les provinces ont la compétence générale en matière de santé et « cela comprend notamment le pouvoir de légiférer afin de déterminer la nature des soins qu’elles offrent et d’encadrer leur administration aux patients », poursuit le document.
Les conservateurs à Ottawa prétendent depuis l’éclosion de débats sur l’aide médicale à mourir, tant au Québec que dans d’autres provinces, que c’est le gouvernement fédéral et non les provinces qui a l’autorité de légiférer en la matière, rappelant que des dispositions prévues au Code criminel — fédéral — tel l’article 241 interdisant « l’aide ou l’encouragement au suicide », ont préséance sur les lois provinciales.
Gens vulnérables
Deux Britanno-Colombiennes atteintes de graves maladies dégénératives ont contesté la constitutionnalité de ces dispositions du Code criminel. C’est leur recours qui se retrouve désormais devant le tribunal de dernière instance.
Le procureur général du Canada avait lui aussi soumis, le mois dernier, un mémoire à la Cour suprême. « Une interdiction absolue [de l’euthanasie] envoie le message que toutes les vies sont importantes et dignes d’être protégées de ceux qui voudraient subtilement encourager les gens vulnérables à mettre fin à la leur », soutenait Peter MacKay.
Avocat spécialisé en droit de la santé, Jean-Pierre Ménard est le principal auteur de l’avis juridique de 450 pages commandé par Québec en vue de l’adoption d’une loi sur le suicide assisté. Il soutient que les questions constitutionnelles formulées par la Cour invitaient les provinces à se prononcer sur celles-ci, comme l’a fait le Québec. « La loi québécoise n’est pas contestée, mais la contribution du Québec sera très utile dans ce dossier-là, a-t-il estimé en entrevue au Devoir. Il pourrait y avoir d’autres causes semblables. C’est une façon d’éclairer certains éléments, et l’argumentaire mis de l’avant par la procureure générale m’apparaît sérieux. »
Rodriguez en reprise
Le recours de Kay Carter et Gloria Taylor, aujourd’hui décédées, survient plus de 20 ans après que la Cour suprême eut choisi de maintenir l’illégalité de l’aide au suicide, dans la controversée cause de Sue Rodriguez.
En 1993, dans une décision très divisée (5 contre 4), le tribunal avait conclu que l’article 241 du Code criminel ne portait pas atteinte à la Charte canadienne des droits et libertés. La majorité avait estimé qu’il ne fallait pas « dévaloriser la vie » en permettant à certains de l’enlever. Depuis, souligne Me Ménard, l’opinion publique a beaucoup évolué et tous les juges de la Cour suprême ont été remplacés, sauf une : Beverley McLachlin, aujourd’hui juge en chef. « À l’époque, la juge McLachlin faisait partie de la minorité qui aurait permis l’aide au suicide, moyennant certaines balises. »
La Loi concernant les soins de fin de vieprévoit par exemple que deux médecins doivent s’assurer que la demande a été faite librement et consciemment par la personne mourante avant que soit prodiguée l’euthanasie.