Des accusations injustifiées?

Le directeur québécois des Métallos, Daniel Roy, a montré du doigt le laxisme de l’ex-ministre des Transports Denis Lebel.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Le directeur québécois des Métallos, Daniel Roy, a montré du doigt le laxisme de l’ex-ministre des Transports Denis Lebel.

« Boucs émissaires », les employés de la Montreal, Maine and Atlantic accusés à la suite de la tragédie de Lac-Mégantic devraient voir la cinquantaine d’accusations pesant contre eux abandonnée à la lumière des conclusions du rapport d’enquête du Bureau de la sécurité des transports, ont plaidé jeudi le syndicat et les avocats représentant deux des trois travailleurs. Une supplication rejetée, du moins pour l’instant, par la Couronne.

 

Le conducteur Tom Harding et le contrôleur ferroviaire Richard Labrie font face à 47 chefs d’accusation de négligence criminelle ayant causé la mort, soit un pour chaque victime de l’explosion du 6 juillet 2013. Un autre accusé, le contrôleur de l’exploitation Jean Demaître, est cadre, et ne prenait pas part à l’appel lancé jeudi par les avocats de MM. Harding et Labrie et le Syndicat des Métallos. Ceux-ci jugent que le rapport rendu le 19 août dernier par le Bureau de la sécurité des transports, qui souligne la présence de nombreux « problèmes systémiques à la MMA », absout les travailleurs.

 

« Le rapport accuse clairement la culture organisationnelle déficiente à la MMA, ainsi que le manque de surveillance de la part de Transports Canada », a martelé Me Thomas Walsh, l’avocat de M. Harding, jugeant le nombre d’accusations, et d’accusés, arbitraire.

 

Pourtant, son client est celui qui aurait omis d’appliquer tous les freins à main le soir de la tragédie, avant de laisser le train de la MMA sans surveillance pour la nuit, a convenu Me Walsh. Le travail n’avait pas été fait « à la perfection », mais il a été effectué « en respectant les standards de la MMA, comme il l’avait effectué des dizaines de fois auparavant », selon l’avocat.

 

« La seule chose qui va sortir de [ce procès], ce sont des verdicts contre trois personnes. Ça ne va rien, rien changer aux pratiques de l’industrie ou du gouvernement », a-t-il ajouté.

 

Le gouvernement Harper avait rejeté toute responsabilité, au lendemain de la publication du rapport du BST, soulignant que les règles en place avaient été brisées, et que des accusations avaient été portées contre ces individus.

 

Brandissant l’édition de jeudi du Devoir, sur laquelle on voit un Denis Lebel souriant en tournée au Québec, le directeur québécois des Métallos, Daniel Roy, a rappelé que le député conservateur de Roberval était ministre des Transports au moment de la tragédie. Ce ministère a largement été blâmé dans le rapport du BST pour son laxisme dans l’application des normes de sécurité et dans la surveillance de l’industrie ferroviaire, dans les années précédant la tragédie de Mégantic. « À la lumière du rapport, on voit qui sont les vrais responsables de cette tragédie-là, a-t-il dit. Et ce ne sont pas les travailleurs. On a des réponses maintenant. […] Transports Canada a manqué à son devoir de surveillance et il n’a même pas l’humilité de prendre le blâme par la suite », a-t-il tonné, enjoignant à M. Lebel et à sa successeure, Lisa Raitt, de « reconnaître leurs torts ».

  

Le procès aura lieu

 

La Couronne a rejeté la demande des accusés. « Nous avons consulté le rapport du BST. Ça ne change pas l’évaluation de la preuve. En conséquence, les accusations criminelles portées contre [les trois accusés] et la MMA sont maintenues », a indiqué un porte-parole de la Direction des poursuites criminelles et pénales (DPCP), Me Jean Pascal Bouchard.

 

L’avocat a ajouté que le DPCP ne ferait aucun commentaire portant sur l’évaluation de la preuve d’ici à la reprise du procès, le 11 septembre prochain à Lac-Mégantic.

 

Selon le juriste criminaliste Jean-Claude Hébert, les exigences de preuve pour le dépôt d’accusation dans un cas comme celui-ci, par le DPCP, sont plus élevées que dans le cas de chefs d’accusation habituellement déposés par la police. « Ce qui oriente le dépôt d’accusations, c’est toujours la preuve. C’est l’un des éléments qui pourraient expliquer pourquoi des accusations ont été déposées contre ces trois personnes mais pas d’autres [employés ou gestionnaires de la MMA] à ce jour. Ça ne veut pas dire que ça n’a pas été envisagé », dit-il.

  

18 facteurs ont contribué à la tragédie

 

Pour rappel, le Bureau de la sécurité des transports avait identifié 18 faits « jouant un rôle » dans le déraillement du train : nombre insuffisant de freins à main actionnés (sept), examen inadéquat de l’efficacité du système de freinage, etc.

 

L’organisme avait alors enjoint Ottawa à s’assurer que toutes les compagnies ferroviaires ont à portée de main des systèmes de gestion de la sécurité (SGS) « fonctionnels » et « efficaces », invitant par ailleurs les entreprises canadiennes à « mettre en place des moyens de défense physiques additionnels [dispositifs de calage des roues, technologies de freinage modernes, etc.] pour empêcher les trains de partir à la dérive » comme celui de la MMA.

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