Répression policière à géométrie variable

Intervention policière lors d’une manifestation étudiante en mars 2013
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Intervention policière lors d’une manifestation étudiante en mars 2013

Il y a l’absence de geste et leurs interprétations : en laissant les opposants au projet de loi 3 sur les régimes de retraite de l’administration Couillard exprimer leur mécontentement dans le grabuge, le corps policier de Montréal vient aujourd’hui confirmer qu’il pratique, en d’autres temps et sur d’autres groupes de manifestants, un certain profilage politique et social, tout comme une répression à géométrie variable en période de conflits sociaux.

 

C’est en tout cas ce qu’avance un universitaire spécialiste des mouvements de contestation sociale et de la répression policière, tout en souhaitant qu’à l’avenir, la tolérance aux débordements de quelques manifestants, affichée depuis quelques jours par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), devienne finalement une norme pour tous, plutôt que cette exception pointée du doigt depuis lundi soir dernier et l’entrée en force d’opposants à ce projet de loi dans la salle du conseil de l’hôtel de ville de la métropole, sous le regard passif de policiers.

 

« Le même niveau de répression policière devrait être appliqué à tous les groupes de citoyens en situation de conflit social, et ce, sur un principe de droit libéral, que ces groupes représentent des étudiants du cégep du Vieux [Montréal], des agriculteurs, des opposants aux gaz de schiste ou des fonctionnaires qui craignent pour leur fondsde pension, estime Francis Dupuis-Déri, professeur au Département de science politique de l’UQAM et spécialiste des mouvements sociaux et politiques au Québec. Actuellement, les policiers se montrent très tolérants quant aux manifestants qui expriment leur opinion, mais au lieu de réclamer plus de répression de leur part, on devrait désormais souhaiter, dans une société comme la nôtre, que ce soit cette tolérance, quant à l’expression d’une opinion par manifestation, qui s’applique uniformément à l’avenir à tous. »

 

Selon lui, les événements du début de la semaine à Montréal ont « validé la thèse, de manière presque caricaturale, d’un profilage politique et social conduit depuis quelques années par le SPVM, tout comme par d’autres corps policiers au Québec », dit-il.

 

Pratiques discriminatoires

 

Ce profilage s’incarne dans des interventions policières musclées « non pas en fonction de ce que les gens font, mais en fonction de ce qu’ils sont ou paraissent être », précise l’universitaire, qui, régulièrement, dénonce sur la place publique les cas de brutalité policière. « Si des étudiants ou des anticapitalistes avaient essayé de forcer les portes de l’hôtel de ville, ça n’aurait pas pris longtemps avant que l’antiémeute intervienne », poursuit-il.

 

En croisant les bras, les policiers sur place n’ont pas seulement laissé des employés municipaux, avec qui ils partagent la même opposition au projet de loi 3, perturber la séance de conseil municipal. Ils ont également révélé « une image contradictoire d’employés particuliers de l’État qui se présentent comme neutres, qui prétendent appliquer la loi avec discernement, mais qui, finalement, le font dans des pratiques discriminatoires », dit M. Dupuis-Déri en mentionnant ici la radicalisation des policiers, depuis quelques années, devant certaines oppositions, comme celles amenées parfois dans les rues par des étudiants, et là, l’existence et l’application de manière asymétrique du règlement P-6, sur la prévention des troubles de la paix.

 

Directeur de la Chaire d’éthique appliquée de l’Université de Sherbrooke, André Lacroix ne va pas si loin, refusant de condamner en bloc les membres du SPVM, dont quelques représentants, selon lui, ont plutôt, lundi soir dernier, « fait précéder leur sympathie de syndiqués sur leur devoir professionnel de policier, explique-t-il. Il peut y avoir effectivement la perception d’une application de la loi avec deux poids et deux mesures. Mais il faut également éviter de mettre tous les policiers dans la même marmite », ajoute l’homme, tout en saluant l’intervention mardi de Marc Parent, chef de la police, et le rappel fait à ses troupes que même dans le mécontentement d’une réforme en marche, ils demeurent toujours des représentants de l’ordre.

 

M. Lacroix reconnaît toutefois que les événements des derniers jours, tout comme les moyens de pression visibles et affichés par les policiers en ce moment, dans leur habillement ou sur leur voiture, pourraient remettre en question, auprès des citoyens, la crédibilité de cette frange de la fonction publique, qui a beaucoup plus à perdre qu’à gagner en donnant l’impression d’interpréter la loi comme bon lui semble, dit-il. « Un problème est en train d’émerger, là. Un corps policier trouve sa légitimité dans la crédibilité que lui accordent les citoyens. À l’avenir, quelle va être cette légitimité lors d’une interpellation, surtout auprès des jeunes ? »

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